Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/339

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de supplice sont brisés miraculeusement. Cette composition est remplie d’une foule de figures, de raccourcis, d’armures, d’ornements d’architecture, de portraits et d’accessoires qui lui donnent une grande richesse de décor. Dans une autre est représentée une tempête sur mer, et saint Marc dans les airs secourant un autre de ses fidèles ; mais ce tableau n’est pas fait avec le même soin que le premier. Dans le troisième, au milieu d’un orage, on voit le cadavre d’un autre fidèle et son âme qui monte aux cieux ; c’est également une composition assez heureuse. Le quatrième représente un possédé du démon que l’on exorcise, et une immense loggia en perspective, au fond de laquelle est un feu qui l’éclairé en produisant de nombreuses réverbérations.

Outre ces peintures, il y a sur l’autel un saint Marc de la même main, qui est un tableau remarquable. Toutes ces œuvres et beaucoup d’autres que nous passons sous silence, parce qu’il nous suffit d’avoir mentionné les meilleures, furent exécutées par Tintoretto avec tant de célérité, qu’elles étaient déjà terminées lorsqu’on croyait à peine qu’elles étaient commencées. Il est remarquable que, malgré ses extravagances, les plus folles du monde, le Tintoretto a toujours eu des travaux. Quand ses instances et l’entremise de ses amis ne suffisent pas pour lui faire obtenir un ouvrage, il le fait quand même, quand ce serait à vil prix, ou pour rien, et contre la volonté des gens. Il y a peu de temps, comme il venait d’achever une grande toile à l’huile représentant la Crucifixion[1], pour la Scuola di San Rocco, les membres de cette compagnie décidèrent de faire peindre une œuvre magnifique sur le plafond de leur Oratoire et d’allouer le travail à celui des peintres étant alors à Venise qui présenterait le plus beau dessin. Ils appelèrent à concourir Josef Salviati, Federigo Zucchero, qui était alors à Venise, Paolo Veronese et Jacopo Tintoretto. Tandis qu’ils s’appliquaient à faire leurs dessins, le Tintoretto prit une toile de la dimension du plafond, et la peignit en secret avec sa vélocité accoutumée. Un matin, les membres de la Confrérie, s’étant rassemblés pour voir les dessins et faire leur choix, trouvèrent le tableau du Tintoretto terminé et mis en place. Grande fut leur colère ; ils s’écrièrent qu’ils avaient demandé un dessin et non un tableau, mais le Tintoretto leur répondit que telle était sa manière de dessiner, qu’il ne savait pas faire autrement, que, pour ne tromper personne, les dessins et les modèles devaient être ainsi, et qu’enfin, s’ils ne voulaient point lui payer son travail, il leur en ferait cadeau. Bref, il fit si bien que, malgré leur contrariété, son tableau est

  1. En place.