Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/352

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donner à ses œuvres plus de moelleux et un plus grand relief, tout en continuant à copier la nature de son mieux. Il employait immédiatement les couleurs, procédant par teintes crues et douces, suivant ce que lui montrait le modèle, sans faire de dessins préparatoires, disant que le fait de peindre, avec les propres couleurs, sans études sur le papier, était le vrai et meilleur moyen de faire, et le véritable dessin. Il ne s’apercevait pas que celui qui veut ordonner une composition et en approprier les inventions, doit en faire d’abord plusieurs esquisses sur le papier, pour voir comment le tout s’arrange ensemble. On ne peut d’ailleurs bien rendre le nu qu’après l’avoir beaucoup dessiné. Enfin, c’est en dessinant que l’esprit se remplit de belles idées, et que l’on apprend à reproduire de souvenir tout ce que présente la nature, sans avoir besoin de son modèle continuel, et de chercher à tourner, par la grâce des couleurs, la difficulté de ne pas savoir dessiner. C’est ce qui arriva au Giorgione, à Palma, au Pordenone, et à d’autres qui ne virent point Rome et les autres chefs-d’œuvre. Titien laissa donc de côté la manière de Gian Bellino, bien qu’il y eût consacré beaucoup de temps, dès qu’il connut celle de Giorgione, et, en peu de temps, il réussit à imiter ce dernier maître de telle sorte que souvent de ses œuvres furent attribuées à Giorgione, comme on le dira plus loin. Titien, en avançant en âge, en pratique et en meilleur jugement, exécuta plusieurs fresques, dont nous ne pouvons parler avec ordre, car elles sont dispersées en plusieurs endroits. Qu’il suffise de constater qu’elles furent telles, que quantité de gens qui s’y entendaient estimèrent qu’il deviendrait un peintre excellent, comme cela est arrivé par la suite.

À ses débuts donc, il s’appliqua à suivre la manière de Giorgione, n’étant pas âgé de plus de dix-huit ans, et il fit le portrait d’un gentilhomme de la famille Barbarigo, lequel était son ami ; ce portrait[1] fut jugé si beau que, s’il n’y avait inscrit son nom en noir, on l’aurait attribué à Giorgione. Celui-ci ayant achevé la façade antérieure du Fondaco de’Tedeschi, Titien fut chargé[2], par l’entremise de Barbarigo, de peindre différents sujets sur le même édifice, du côté de la Merceria. Il peignit ensuite un grand tableau, rempli de figures grandes comme nature, et qui est aujourd’hui chez Messer Andrea Loredano près de San Marcuola : il représente la Fuite en Egypte[3], à travers une forêt peuplée d’animaux, exécutés d’après nature, qui paraissent presque

  1. Peinture perdue.
  2. En 1506 ; ces peintures, terminées en 1508, n’existent plus.
  3. On connaît plusieurs tableaux de Titien représentant ce sujet : le plus beau est au Louvre.