Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/397

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sur l’ossature, ni de corps mort plus semblable à un cadavre que celui-ci. On y voit, en outre, une telle douceur de visage et une si grande harmonie dans la disposition et la conjonction des bras, des jambes et du corps, enfin une si exacte vérité que l’esprit est plein de stupeur et qu’on s’étonne qu’une main d’artiste ait pu produire une œuvre aussi admirable en peu de temps, de même que c’est vraiment miraculeux qu’un bloc informe au début ait donné naissance à une forme si parfaite que la nature ne peut produire que difficilement dans un corps vivant. L’ardeur que Michel-Ange apporta à son travail, et la peine qu’il y éprouva le poussèrent à faire ce qu’il ne fit plus jamais ensuite, à savoir de graver son nom en travers sur la ceinture qui serre le sein de la Vierge. Voici ce qui l’y décida. Un jour, Michel-Ange, entrant dans le local où le groupe était placé, y trouva un grand nombre de voyageurs venus de Lombardie qui en disaient force louanges, et, comme l’un demandait à un autre qui l’avait fait, celui-ci lui répondit : « Notre Bossu de Milan[1]. » Michel-Ange ne dit rien, mais il lui parut étrange qu’un autre retirât le fruit de ses peines ; et, une nuit, s’étant enfermé dans le local, avec de la lumière, et ayant apporté ses ciseaux, il grava son nom sur la statue[2]. Il en retira une grande renommée, et si quelques imbéciles disent encore qu’il a fait la Vierge trop jeune de figure, ils ne savent pas ou ne s’aperçoivent pas que les personnes vierges conservent longtemps la fraîcheur de leur visage, et que le contraire arrive à ceux qui ont eu de grandes douleurs, comme c’est arrivé au Christ. Cette œuvre lui donna plus de réputation que toutes ses œuvres antérieures. À ce moment, quelques-uns de ses amis lui écrivirent de Florence qu’il devait y revenir parce qu’il n’était pas hors de propos qu’il obtînt le bloc de marbre qui était alors dans l’Œuvre du Dôme, mais abîmé. Piero Soderini, nommé gonfalonier à vie de la cité, avait eu souvent l’intention de le faire remettre à Léonard de Vinci, et pour le moment il était question de le donner à Maestro Andrea Contucci dal Monte Sansavino, excellent sculpteur, qui cherchait à l’avoir, bien qu’il fût difficile d’en tirer une figure entière sans y ajouter des morceaux, ce dont Michel-Ange était seul capable et dont il avait eu le désir longtemps auparavant. Michel-Ange revint donc à Florence et tenta d’obtenir le bloc. Ce marbre avait neuf brasses de haut et, par malheur, un certain Maestro Simone da Fiesole[3] avait commencé à le dégrossir

  1. C’est-à-dire Cristoforo Solari.
  2. MICHEL ANGELVS BONAROTVS FLOREN, FACIEBAT (faite en 1499-1300).
  3. Erreur : ce fut un certain Maestro Bartolommeo di Pietro dit Baccellino.