Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/398

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pour en tirer un colosse, et il avait si mal opéré que le bloc était percé entre les jambes et que l’ébauche était contorsionnée et toute estropiée, en sorte que les fabriciens de Santa Maria del Fiore, qui en avaient la charge, ne se souciant pas de le faire terminer, l’avaient laissé abandonné, et il était resté tel depuis plusieurs années[1]. Michel-Ange le mensura à nouveau, et, examinant s’il pouvait en tirer une statue convenable, en conformant son attitude à ce qui restait du bloc, il se décida à le demander aux fabriciens et à Soderini, qui le lui concédèrent comme une chose perdue. Ils pensaient d’ailleurs que, quelle que fût l’œuvre produite, elle serait meilleure que ce qu’il y avait, parce que, en l’état actuel, le marbre ne pouvait plus être d’aucune utilité à la fabrique. Michel-Ange, ayant fait un modèle en cire[2], résolut d’exécuter, pour la façade du palais, un David jeune, la fronde à la main, voulant dire par là que, de même que David avait défendu son peuple et l’avait gouverné avec équité, de même ceux qui étaient à la tête de la ville devaient la défendre vigoureusement et la gouverner équitablement. Il le commença dans l’Œuvre de Santa Maria del Fiore, dans laquelle il s’organisa un atelier entièrement fermé, entourant le marbre ; et, y travaillant sans cesse, il conduisit sa statue à entière perfection, sans que personne ne la vît. Le marbre avait été si abîmé par Maestro Simone, qu’en plusieurs endroits il ne pouvait suffire à ce que Michel-Ange voulait en tirer, en sorte que, maintenant encore, on voit aux extrémités quelques-uns des coups de ciseau de Maestro Simone. On peut dire que ce fut vraiment un miracle et que Michel-Ange ressuscita un mort. Quand la statue fut terminée, elle était de telles dimensions que nombreuses furent les discussions qu’il y eut pour l’amener sur la place de la Seigneurie. Giuliano da San Gallo et Antonio, son frère[3], firent un énorme chariot de bois et y suspendirent la statue avec des cordes, de manière qu’elle ne fût pas fracassée par les heurts, mais qu’elle se balançât continuellement ; puis, ayant fait aplanir le sol des rues, ils tirèrent la statue et la mirent en place[4]. Les cordes qui tenaient la statue suspendue étaient nouées de manière que le poids faisait serrer le nœud qui, néanmoins, était facile à ouvrir.

  1. Il y resta trente-cinq ans. Le David de Michel-Ange est actuellement à l’Académie des Beaux-Arts. Commandé le 16 août 1501, il devait être terminé en deux ans, et Michel-Ange devait recevoir six florins d’or par mois.
  2. Actuellement au Musée Buonarroti.
  3. Sous la direction du Cronaca.
  4. 14-18 mai 1504.