Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/416

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lumières, elle paraît véritablement se courber en arrière. Heureuse notre époque ! Heureux les artistes de notre temps ! On doit vous appeler ainsi, vous qui, de votre temps, avez pu vous remplir les yeux, jusqu’alors tenus dans les ténèbres, de l’éclatante clarté de cette source lumineuse, vous qui avez eu la route aplanie et débarrassée de tout ce qui était difficile, par un si rare et si merveilleux artiste. Certes, la gloire qu’il retira de ses peines doit vous faire connaître et proclamer que c’est lui qui souleva le bandeau qui couvrait les yeux de votre esprit si plein de ténèbres, et qui a démêlé le vrai du faux qui obscurcissait votre intelligence. Remerciez-en donc le ciel, et efforcez-vous d’imiter Michel-Ange en toute chose.

Quand il découvrit son œuvre, le monde y accourut de toutes parts et ce fut assez pour que tous restassent muets d’admiration. Aussi le pape, dont elle exalta le génie et qu’elle poussa à de plus grandioses entreprises, récompensa-t-il Michel-Ange par de grandes sommes et de riches dons, ce qui faisait dire parfois à Michel-Ange que le pape, par ses faveurs, montrait bien qu’il savait apprécier son mérite. Si, par suite de son humeur naturelle, le pontife le brusquait parfois, il lui faisait ensuite oublier l’offense par des dons et des faveurs signalées. C’est ainsi qu’un jour, Michel-Ange ayant demandé la permission d’aller à Florence pour assister à la fête de saint Jean, ave un peu d’argent pour faire le voyage, le pape dit : « Et cette chapelle, quand sera-t-elle livrée ? — Quand je le pourrai, Saint Père, répondit Michel-Ange. — Quand je le pourrai, quand Je le pourrai !... dit le pape en grondant et en frappant Michel-Ange d’un bâton qu’il tenait à la main ; je te la ferai bien finir, moi ! » Michel-Ange étant retourné chez lui, pour se mettre en route et se rendre à Florence, le pape lui envoya aussitôt cinq cents écus par Cursio, son camérier, craignant qu’il ne fît des siennes, et avec toutes sortes d’amitiés pour l’apaiser. Aussi bien, Michel-Ange connaissait l’humeur du pape et s’en riait, aimant ce pontife, et voyant que, quoi qu’il arrivât, tout se terminait toujours à son avantage, et que le pape ne négligeait rien pour conserver son amitié.

Les peintures de la chapelle terminées, et pendant qu’il vivait encore, le pape ordonna que, s’il venait à mourir, le cardinal Santiquattro[1] et le cardinal Aginense[2], son neveu, eussent à faire terminer son tombeau, sur un plan moindre que le premier, et Michel-Ange se mit

  1. Lorenzo Pucci, nommé cardinal par Léon X, en 1513.
  2. Leonardo Grosso della Rovere, fils d’une sœur de Sixte IV. Le deuxième contrat est du 6 mai 1513; le troisième, des 4 et 8 juillet 1516.