Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/460

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en couleur pour des paysans. Michel-Ange qui se faisait prier pour travailler pour des souverains, laissait là son travail et lui faisait des dessins simples et conformes au désir de Menighella. Entre autres, il fit le modèle d’un Crucifix vraiment admirable, et Menighella en tira un moule, dont il fit des crucifix en carton ou en autre mixture qu’il alla ensuite vendre dans les campagnes, ce qui mettait Michel-Ange en grande gaieté. Il aimait également Topolino, qui, de tailleur de pierre, avait l’ambition de devenir sculpteur, mais qui ne réussissait pas. Il resta longtemps dans les montagnes de Carrare à envoyer des marbres à Michel-Ange. Jamais il ne lui adressait de bateau chargé de marbres sans y ajouter trois ou quatre figurines qu’il avait ébauchées et qui faisaient mourir de rire Michel-Ange. Finalement, étant de retour et ayant ébauché un Mercure en marbre, il se mit à le terminer. Quand il le jugea presque à point, il voulut que Michel-Ange le vît, et il lui demanda instamment de lui dire ce qu’il en pensait. « Tu es un fou, Topolino, lui dit Michel-Ange, de vouloir faire des statues. Ne vois-tu pas que ton Mercure est trop court d’un bon tiers de brasse, des genoux aux pieds. C’est un nain, et il est tout estropié. — Oh ! ceci n’est rien : s’il n’y a que cela, j’y remédierai bien ; laissez-moi faire. » Michel-Ange rit de nouveau de sa simplicité ; mais quand il fut parti Topolino, prit un peu de marbre, et ayant coupé son Mercure un quart de brasse au-dessous des genoux, il lui encastra les jambes très adroitement dans une paire de brodequins, qui remontaient un peu, en cachant la jointure, et qui allongeaient la statue de ce qui lui manquait. Il fit ensuite revenir Michel-Ange et lui montra son œuvre. Michel-Ange resta émerveillé, après en avoir ri, de voir que de pareils fous, poussés par la nécessité, savent trouver des expédients qui échappent aux hommes de talent. — Pendant qu’il faisait terminer le tombeau de Jules II, il fit faire à un tailleur de marbre un terme destiné à être placé au tombeau de San Piero in Vincola, en lui disant : « Enlève du marbre ici, aplanis-là, polis cette partie », en sorte que, sans que le tailleur s’en aperçût, il lui fit faire une figure, que celui-ci s’émerveillait à regarder. Quand elle fût terminée, Michel-Ange lui dit : « Que t’en semble ? — Rien que de bien, répondit-il, et je vous suis grandement obligé. — Pourquoi ? repartit Michel-Ange. — Parce que, grâce à vous, je me vois posséder un talent que je ne savais pas avoir. »

Pour en rester là, je dirai que cet homme fut d’une complexion très saine, sèche et toute noueuse de nerfs. S’il fut maladif dans son enfance et eut, pendant l’âge mûr, deux maladies sérieuses, il résista