Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/459

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fût pas pillée. On le montra à Michel-Ange, et, comme un de ses amis lui demandait ce qu’il en pensait, il répondit : C’est bien, mais je ne sais pas comment fera cette peinture, au Jour du Jugement dernier, que tous les corps reprendront leurs membres propres, car il ne lui restera rien ! » Bon avis donné à ceux qui s’occupent d’art, de ne tirer leurs œuvres que de leur propre fonds. — Passant un jour par Modène, il vit des œuvres qui lui parurent excellentes, et qui sortaient de la main de Maestro Antonio Bigarino de Modène, qui avait fait quantité de belles statues en terre cuite et peintes en couleur de marbre. Comme ce sculpteur ne savait pas travailler le marbre, Michel-Ange dit : « Malheur aux statues antiques, si cette terre devient du marbre ? » — On dit à Michel-Ange qu’il devrait avoir du ressentiment contre Nanni di Baccio Bigio, qui voulait toujours entrer en compétition avec lui. Il entre : « Qui entre en lutte avec des ignorants, remporte de maigres victoires. » — Un prêtre de ses amis lui dit : « C’est grand dommage que vous n’ayez pris femme, parce que vous auriez eu beaucoup d’enfants, et vous leur auriez laissé un grand renom. » Michel-Ange répondit : « Je ne suis que trop marié avec cet art qui ne me donne que des soucis, et mes enfants sont les œuvres que je laisserai. Si peu qu’on en parle, ce sera toujours cela. Que serait-il arrivé à Lorenzo di Bartoluccio Ghiberti, s’il n’avait pas fait les portes de San Giovanni ? Ses fils et petits fils ont gaspillé et vendu tout ce qu’il a laissé, tandis que les portes sont toujours en place. » — Vasari fut envoyé une fois par le pape Jules III, à une heure de nuit, pour un dessin, à la maison de Michel-Ange, et il le trouva en train de travailler à la Pietà en marbre qu’il mit ensuite en pièces. Michel-Ange, l’ayant reconnu quand il frappa à la porte, se leva du travail et prit une lanterne pour l’éclairer, Vasari lui ayant exposé ce qu’il voulait, il envoya Urbino chercher le dessin, et tandis qu’en l’attendant ils causaient d’autre chose, Vasari jeta les yeux sur une jambe du Christ, à laquelle Michel-Ange travaillait et qu’il cherchait à modifier. Pour l’empêcher de la regarder, Michel-Ange laissa tomber la lanterne, et comme ils étaient dans l’obscurité, il appela Urbino, pour qu’il leur apportât de la lumière. Puis il dit : « Je suis si vieux que souvent la mort me tire par l’habit, pour que je l’accompagne. Je tomberai tout d’un coup, comme cette lanterne, et ainsi s’éteindra la lumière de ma vie. »

Avec tout cela, il se plaisait à la fréquentation de certains hommes à son goût, comme le Menighella, peintre vulgaire et bouffon du Val d’Arno, qui était plaisant et venait souvent voir Michel-Ange, pour lui demander des dessins de saint Roch ou de saint Antoine, à mettre