Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/60

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Mantegna, Filippo et Luca Signorelli. Ceux-ci, en effet, en se surmenant, cherchaient à faire l’impossible dans l’art, avec des difficultés, particulièrement des raccourcis et des sujets déplaisants ; autant l’exécution en avait été difficile, autant ils étaient pénibles à voir. Quoique la majeure partie de ces œuvres fussent bien dessinées et sans erreurs, il leur manquait toutefois un souffle de vivacité qu’on n’y a jamais rencontré, et une union harmonieuse des couleurs qui commença à apparaître dans les œuvres du Francia de Bologne, et de Pietro Perugino. Leurs contemporains accoururent comme transportés à la vue de cette beauté nouvelle et plus vivante, et il leur parut certain que l’on ne pourrait jamais faire mieux. Mais leur erreur apparut ensuite manifeste, grâce aux œuvres de Léonard de Vinci, lequel, donnant naissance à la troisième manière, que nous voulons appeler la manière moderne, outre la hardiesse et la bravoure du dessin, outre la perfection avec laquelle il reproduisit jusqu’aux minuties les plus subtiles de la nature, exactement comme elles sont, grâce à une règle excellente, une meilleure ordonnance, une juste mesure, un dessin parfait et une grâce divine, ayant de plus une grande abondance de sujets, et une profonde connaissance de l’art, donna vraiment le souffle et le mouvement à ses figures. L’abondance de ses ressources n’était égalée que par la profondeur de son art. Vint après lui, mais à une certaine distance, Giorgione da Castel Franco, qui effuma ses peintures, et donna un mouvement extraordinaire à ses figures, par une certaine disposition d’ombres bien comprises. Fra Bartolommeo di San Marco ne donna pas moins de force, de relief, de douceur et de grâce de coloris à ses peintures, mais le charmant Raphaël d’Urbin les surpassa tous. Celui-ci, ayant étudié les travaux des maîtres anciens, et aussi ceux des modernes, prit à tous ce qu’ils avaient de meilleur, et par cette récolte enrichit l’art de la peinture de cette extrême perfection qu’offrirent anciennement les figures d’Apelles et de Zeuxis ; assurément nous dirions qu’il les a surpassés, si nous pouvions décrire ou montrer en parallèle les œuvres de ceux-ci. Ainsi la nature resta vaincue par son coloris. Chez lui l’invention était aussi facile que bien appropriée, ce que chacun peut apprécier en voyant ses œuvres. Elles sont semblables ci des livres, nous montrant comme par écrit les sites et les édifices, les physionomies et les costumes, aussi bien les nôtres que ceux des nations étrangères, comme il l’a voulu. De plus il eut en don la grâce des têtes, jeunes et vieilles et de femmes, réservant la modestie aux modestes, la lascivité aux lascives ; on devine les vices de ses enfants