Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/61

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par leurs yeux et les jeux auxquels ils se livrent par leurs attitudes. De même ses draperies font des plis qui ne sont ni trop simples ni trop compliqués, mais toujours avec des formes qui les font paraître véritables. La même manière, mais plus douce de coloris et moins vigoureuse, fut suivie par Andrea del Sarto ; on put dire qu’il fut un maître rare, parce qu’on ne voit aucune erreur dans ses œuvres. On ne saurait exprimer la charmante vivacité qu’Antonio da Corregio fit éclater dans ses œuvres, effilant les cheveux de ses figures non avec la manière ténue de ses prédécesseurs, qui était pénible, tranchante et sèche, mais avec cette souplesse du poil véritable, et une si grande facilité, que les cheveux paraissaient séparés, dorés et plus beaux que des cheveux naturels, dont la couleur restait surpassée par son coloris. Francesco Mazolla, dit le Parmesan, en fit autant ; il surpassa quelquefois Antonio en grâce, en ornements et en belle manière, comme on le voit dans plusieurs de ses peintures pleines de figures riantes et telles que, si on les regarde attentivement, on croit y voir le battement du pouls, comme si son pinceau s’était plu à le rendre. Mais qui regardera les peintures de façades dues à Polidoro et à Maturino, remarquera que leurs figures font des gestes qui paraissent impossibles à rendre, et s’émerveillera de voir qu’ils ont pu, je ne dis pas exprimer avec la parole, ce qui est chose facile, mais avec le pinceau les grandioses inventions qu’ils ont mises en œuvre, avec tant de pratique et de dextérité, et qui représentent les exploits des Romains, comme ils durent se passer. Parmi les artistes qui ne vivent plus, combien n’y en a-t-il pas qui ont donné la vie à leurs figures avec les couleurs ? Je citerai le Rosso, Fra Sebastiano, Giulio Romano, Perrin del Vaga, pour ne parler que des disparus, parce qu’il ne convient pas de parler ici des vivants qui se font assez connaître par eux-mêmes. Mais le plus important à noter sur cet art est qu’ils l’ont rendu aujourd’hui si parfait et si facile pour celui qui possède le dessin, l’invention et le coloris, que, tandis qu’autrefois et jusqu’à nos maîtres actuels, on mettait six ans pour faire un tableau, aujourd’hui ces maîtres font six tableaux en un an[1]; je l’affirme indubitablement, l’ayant vu maintes fois, et en ayant fait autant. L’on voit aussi bien plus d’œuvres finies et parfaites qu’en exécutèrent autrefois les maîtres de renom. Celui qui entre les vivants et les morts porte la palme, qui surpasse et obscurcit tous les autres, est le divin

  1. On peut se demander si ce fut réellement un progrès.