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exécuter en Flandre une portière tissée d’or et de soie, destinée au roi de Portugal ; ce carton représentait Adam et Eve dans le paradis terrestre, au moment de leur désobéissance. Léonard dessina au pinceau, en clair-obscur rehaussé de céruse, un pré aux herbes innombrables avec quelques animaux, tels qu’en vérité on peut dire que, pour la précision et la vérité aucun esprit, fût-il divin, n’aurait pu les faire aussi ressemblants. On y voit le figuier dont les feuilles et les branches sont exécutées avec un tel amour que l’esprit a peine à penser qu’un homme puisse avoir tant de patience. Il y a également un palmier où les courbures des palmes sont rendues avec un si grand art, que, seuls, la patience et le talent de Léonard pouvaient y parvenir. L’ouvrage ne fut d’ailleurs pas exécuté et le carton est aujourd’hui à Florence, dans la maison fortunée du magnifique Ottaviano de’ Medici, auquel il a été donné, il y a peu de temps, par l’oncle de Léonard[1].

On raconte que Ser Piero da Vinci, se trouvant à la campagne, fut prié familièrement par un paysan à son service de faire peindre à Florence une rondache qu’il avait faite du bois d’un figuier coupé sur sa terre ; il y consentit volontiers, cet homme étant très habile à prendre des oiseaux et des poissons, et Ser Piero se servant beaucoup de lui à cet effet. Ayant donc fait porter cette rondache à Florence, sans autrement dire à Léonard d’où elle venait, il le chargea d’y peindre quelque chose. Léonard la prit un jour, et, voyant qu’elle était tordue et grossièrement travaillée, il la redressa au feu et la donna à un tourneur pour la dégrossir et la polir. Après l’avoir ensuite enduite de plâtre et arrangée à sa guise, il se mit à réfléchir au sujet qu’il pourrait y représenter et qui fût de nature à épouvanter ceux qui attaqueraient le possesseur de cette arme, à la façon de la Méduse des anciens. Dans ce but il rassembla, en une chambre où lui seul entrait, des lézards, des grillons, des serpents, des papillons, des sauterelles, des chauves-souris et autres espèces d’animaux étranges. En les mélangeant, il en tira un monstre horrible et effroyable, dont le souffle empoisonnait et remplissait l’air de flammes ; sortant d’un rocher sombre et brisé, il répandait un noir venin de sa gueule ouverte ; ses yeux lançaient du feu, ses narines de la fumée. Léonard souffrit beaucoup, pendant ce travail, de l’odeur que répandaient tous ces animaux morts, mais il la supporta à cause du grand amour qu’il portait à l’art. L’œuvre achevée, comme ni son père ni le paysan ne la récla-,

  1. Ce carton est perdu.