Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/72

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de la composition et le fini incomparable du travail, donna l’envie au roi de France[1] de la faire transporter dans son royaume. Il chercha, par tous les moyens, des architectes qui pussent l’armer de traverses de bois et de fer, pour que le transport s’effectuât sans danger ; son désir était tel qu’il n’aurait regardé à aucune dépense. Mais la peinture tenait au mur ; sa majesté emporta son admiration et son désir, et laissa le chef-d’œuvre aux Milanais.

Tandis que Léonard travaillait à la Cène, à l’autre bout du réfectoire où se trouvait une Passion dans le style ancien[2], il y peignit les portraits du duc Lodovico et de Maximilien, son fils aîné, d’un côté ; de la duchesse Béatrice et de Francesco, son second fils, de l’autre côté. Ceux-ci furent tous deux ducs de Milan. Tous ces portraits sont merveilleux.

Dans le même temps, il proposa au duc de faire un cheval de bronze d’une grandeur extraordinaire, destiné à recevoir la statue du duc[3]. Il le commença dans une telle dimension qu’il ne put jamais l’achever, et comme le génie est souvent en butte aux faux jugements et à la méchanceté, certains prétendirent que Léonard, comme pour ses autres œuvres, l’avait commencé et ne voulait pas le finir, attendu que le couler d’un seul jet aurait été d’une difficulté incroyable. Et l’on peut croire que beaucoup ont porté ce jugement par expérience de ses œuvres, car beaucoup d’entre elles sont restées inachevées. Mais, en vérité, on peut croire que la grandeur et l’excellence de son âme firent qu’il avait visé trop haut, et que le fait de vouloir toujours chercher plus d’excellence et de perfection fut la véritable raison de la non réussite ; en sorte que l’œuvre fut retardée par le désir, comme l’a dit Pétrarque. Ceux qui ont vu le grand modèle qu’il exécuta en terre assurent n’avoir jamais vu œuvre plus belle, ni plus superbe ; elle resta en place, à Milan, jusqu’à l’arrivée des Français, avec Louis XII, qui la mirent entièrement en pièces[4]. On a perdu également un petit modèle, en cire, fort vanté, ainsi qu’un livre sur l’anatomie du cheval, qu’il avait écrit pour ses études. Il se livra ensuite, mais avec plus d’ardeur, à l’étude de l’anatomie humaine, travaillant de concert avec Messer Marcantonio della Torre, qui professait alors à

  1. François Ier, qui entra à Milan le 16 octobre 1515.
  2. Peinte à la fresque par Montorfano en 1495 ; existe encore, tandis que les portraits peints à l’huile par Léonard n’existent plus.
  3. Francesco Sforza, père de Ludovico, et mort en 1466. Il en reste plusieurs dessins.
  4. Ce fait n’a jamais été prouvé.