Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/73

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Pavie, et qui se servit beaucoup du génie, de la science et de la main de Léonard. Celui-ci fit un livre dont les figures sont dessinées à la sanguine avec des hachures à la plume ; il écorcha des corps, de sa propre main, et les reproduisit avec grand soin. Il dessina d’abord tous les os, puis y adjoignit les nerfs, dans leur ordre, et les recouvrit de muscles, les premiers attachés aux os, les seconds qui forment la masse des tissus, les troisièmes qui donnent le mouvement. Chacune de ces figures est accompagnée de notes succinctes, écrites à rebours et de la main gauche, de façon que celui qui n’en a pas l’habitude n’en peut rien déchiffrer sans l’aide d’un miroir.

De ces dessins d’anatomie humaine, il y en a une grande partie entre les mains de Messer Francesco da Melzo, gentilhomme milanais, qui, du temps de Léonard, était un bel enfant, très aimé de lui, et qui maintenant est un noble et beau vieillard. Il les considéra comme de chères reliques de son ami, ainsi qu’un portrait de cet homme d’heureuse mémoire. Il paraît presque impossible à qui lit ces écrits que ce divin esprit ait parlé, avec tant de profondeur et de raison, d’art, d’anatomie et de toutes choses. Il y a encore, entre les mains d’un peintre milanais, quelques traités de Léonard, également en caractères tracés de la main gauche et à rebours, qui traitent de la peinture, des secrets du coloris et des règles du dessin[1].

Pour revenir aux autres œuvres de Léonard, à cette époque, le roi de France vint à Milan ; Léonard, prié de lui faire quelque chose d’original, fabriqua un lion qui marchait quelques pas, puis s’ouvrait la poitrine qu’il montrait pleine de lis.

Il prit à Milan pour élève un jeune Milanais, nommé Salai, qu’il aima beaucoup, à cause de sa beauté parfaite, de sa grâce, et de ses longs cheveux ondoyants et bouclés. Il lui enseigna beaucoup de choses de l’art, et certains ouvrages, qu’à Milan on dit être de Salai, ont été retouchés par Léonard.

Il retourna à Florence[2], où il trouva que les frères des Servi avaient alloué à Filippino le tableau du maître-autel de la Nunziata, au sujet de quoi Léonard dit qu’il l’aurait fait volontiers. Filippino l’ayant appris, en gentille personne qu’il était, y renonça, et les frères, pour que Léonard exécutât leur tableau, le prirent chez eux, se chargeant de son entretien, ainsi que de toute sa famille ; il les tint en

  1. C’est le fameux Traité de la Peinture, imprimé à Paris pour la première fois en 1651.
  2. En 1499, après la chute de Lodovico.