Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/74

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haleine longtemps, mais il ne commença rien. Finalement, il fit un carton représentant la Vierge, sainte Anne et le Christ[1]; non seulement ce carton combla d’admiration tous les artistes, mais, une fois terminé, il fut exposé pendant deux jours à la curiosité de tous, hommes, femmes, enfants et vieillards, qui y allèrent à l’envi, comme ils font aux fêtes solennelles. Tout ce peuple fut plongé dans l’admiration, car on voyait sur le visage de la Vierge cette simplicité, cette beauté et cette grâce qui caractérisent la Mère du Christ, ainsi que la modestie et l’humilité virginales mêlées de joie à la vue du bel enfant qu’elle tient avec tendresse sur ses genoux ; son regard s’arrête, en même temps, avec douceur sur le petit saint Jean jouant avec un agneau, tandis que sainte Anne exprime par un sourire la joie profonde qu’elle éprouve en voyant sa pescendance terrestre associée à la gloire céleste : toutes considérations qui, comme on sait, rentraient tout particulièrement dans la nature du talent de Léonard. Ce carton, comme il sera dit après, prit le chemin de la France. Il fit le portrait de la Ginevra d’Amerigo Benci[2], admirable chose pour laquelle il abandonna le travail des frères, qui le rendirent à Filippino ; mais celui-ci, surpris par la mort, ne put, lui non plus, le mener à fin[3]. Il accepta également de faire, pour Franscesco del Giocondo, le portrait de Mona Lisa sa femme[4], et après y avoir travaillé quatre ans, il le laissa inachevé ; ce tableau est actuellement auprès du roi François de France, à Fontainebleau. Qui veut savoir à quel point l’art peut imiter la nature, peut s’en rendre compte facilement en examinant cette tête, où Léonard a représenté les moindres détails avec une extrême finesse. Les yeux ont ce brillant, cette humidité que l’on observe pendant la vie ; ils sont cernés de teintes rougeâtres et plombées, qu’on ne peut rendre qu’avec la plus grande finesse ; les cils qui les bordent sont exécutés avec une extrême délicatesse. Les sourcils, leur insertion dans la chair, leur épaisseur plus ou moins prononcée, leur courbure suivant les pores de la peau, ne sauraient être rendus d’une manière plus naturelle. Le nez, avec ses belles ouvertures roses et délicates, est vraiment celui d’une personne vivante. La bouche, sa fente, ses extrémités, qui se lient par le vermillon des lèvres à l’incarnat du visage, ce n’est plus de la couleur, c’est vraiment de la chair. Au creux de la gorge, un observateur attentif

  1. Actuellement à l’Académie des Beaux-Arts de Londres.
  2. Peinture perdue.
  3. II fut terminé par Pietro Perugino.
  4. Actuellement au Louvre, peint vers 1500 ; payé par François Ier 4.000 écus d’or. Volé en juillet 1911 ; non encore retrouvé.