esprit, reconnaissant ne jamais pouvoir recevoir d’honneur plus grand, expira dans les bras du roi, à l’âge de soixante-quinze ans[1].
Sa perte fut profondément sentie par tous ceux qui l’avaient connu ; car personne plus que lui n’avait fait honneur à la peinture. La vue de son éclatante beauté rassérénait les plus tristes, son parler persuadait les esprits les plus rebelles. Sa force domptait les colères les plus violentes ; il ployait dans sa main droite[2] comme une lame de plomb le fer d’un cheval ou le battant d’une cloche. Il était libéral à ce point qu’il accueillait et nourrissait tout homme, pauvre ou riche, pourvu qu’il eût du mérite et de la vertu. Il ornait et honorait par le moindre de ses actes la chambre la plus sale et la plus délabrée. Vraiment sa naissance fut un grand bienfait pour Florence et sa mort une perte irréparable.
Dans l’art de la peinture, il ajouta au coloris à l’huile un certain clair-obscur, au moyen duquel les peintres modernes ont donné beaucoup de force et de relief à leurs figures. Il fit ses preuves de statuaire dans les trois figures de bronze qui sont sur la porte septentrionale de San Giovanni, qu’on doit à Gio Francesco Rustici, mais exécutées sous la direction de Léonard. Elles sont de la plus belle fonte et du plus beau dessin qu’on ait encore vus dans les temps modernes[3]. Nous lui devons la connaissance de l’anatomie chevaline, et d’une anatomie humaine plus parfaite, en sorte que, pour toutes ses œuvres divines, bien qu’il ait plus parlé que produit, sa renommée ne s’éteindra jamais.
Giorgione[4] naquit à Castelfranco, dans le pays Trévisan, l’an 1478, Giovan Mozzenigo étant doge de Venise. À cause de sa belle tournure et de la grandeur de son esprit, il fut appelé plus tard Giorgione ; bien qu’étant sorti d’une origine très humble, il fut un homme aimable et de bonnes manières toute sa vie. Il fut élevé à Venise. Très porté sur l’amour et se plaisant au luth, il chantait et jouait de cet