Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/80

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reconnaître un des officiers que Consalvo Ferrante conduisit à Venise, quand il y vint visiter le doge Agostino Barberigo. Dans le même temps, il peignit, dit-on, le grand Consalvo en armes, œuvre admirable et unique, que Consalvo emporta avec lui[1]. Giorgione fit quantité d’autres portraits, maintenant épars çà et là en Italie, tous très beaux, comme le prouve celui de Lionardo Loredano[2], fait par le peintre quand Loredano était doge, et un autre qui est à Faenza, dans la maison de Giovanni da Castel Bolognese, et qui représente son beau-père. Il se plut aussi beaucoup à la peinture à fresque, et fit, entre autres choses, la façade de Ca Soranzo, sur la place San Paolo[3]. On y voyait un Printemps, une des belles choses qu’il ait peintes à fresque et que le temps a malheureusement consumée. Je crois que rien n’est plus nuisible à la fresque que les vents du midi, surtout près de la mer, dont ils apportent toujours les émanations salines avec eux.

Survint, l’an 1504[4], au Ponte del Rialto, un terrible incendie qui détruisit en entier le Fondaco de’Tedeschi, avec toutes les marchandises qu’il contenait, pour le grand dommage des marchands. La seigneurie de Venise ordonna de le reconstruire rapidement, avec une distribution intérieure plus commode et plus magnifique. Celui qui en avait le soin consulta Giorgione, dont la réputation s’était fort accrue et le chargea d’y peindre des fresques[5] à sa fantaisie, lui laissant le fibre choix des sujets, afin qu’il pût montrer tout son talent et faire une œuvre excellente dans le lieu le plus beau et le plus en vue de la cité. Giorgione s’étant mis au travail, ne suivit que sa fantaisie pour faire preuve d’habileté. À la vérité, on ne trouve dans cette peinture aucun sujet qui soit sagement ordonné ou qui retrace l’histoire de quelque personne de marque, ancienne ou moderne. Je n’y ai jamais rien compris ni rencontré personne qui pût me les expliquer. Ici on voit une femme, là un homme ayant à côté de lui une tête de lion ou un ange sous la forme de l’Amour. C’est à ny rien comprendre.

Il fit un tableau qui représente le Christ portant sa croix et tiré par un juif[6] ; il a été placé plus tard dans l’église San Rocco et opère de

  1. Tous ces tableaux sont perdus ; toutefois le Musée de Vienne croit posséder le portrait de Consalvo.
  2. Portrait perdu.
  3. Ces fresques n’existent plus.
  4. Le 28 janvier 1505.
  5. Celles du côté du canal seulement ; terminées en 1508 et payées 130 ducats. Titien fit celles du côté du pont. Les unes et les autres ont été détruites par les émanations salines.
  6. Ce tableau, qui est de Titien, se trouve encore en place.