Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/84

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représentant la Nativité du Christ[1]. La lumière qui émane de la personne de l’Enfant Jésus éclaire les bergers et les autres figures qui les contemplent ; entre autres particularités, il y a une femme qui, voulant regarder fixement le Christ, ses yeux mortels ne pouvant supporter la splendeur de sa divinité, se met la main devant les yeux. Au-dessus de la cabane, un chœur d’anges chantant est si bien rendu que ces derniers paraissent plutôt descendus du ciel que créés par la main d’un peintre.

Dans la même ville, il y a un petit tableau de la grandeur d’un pied qui est la chose la plus rare et la plus belle qu’ait produite Correggio ; il représente, en figures de petites dimensions, le Christ au jardin des Oliviers, la nuit[2]. Jésus est éclairé par les flots de lumière émanant de l’ange qui lui apparaît ; on voit, au pied de la montagne, les trois Apôtres qui dorment, et la montagne jette sur eux une ombre qui leur donne une force et une vigueur inexprimables. Dans le lointain du paysage, l’aurore commence à paraître, et l’on voit venir quelques soldats avec Judas. Cette peinture, dans sa petitesse, est si bien entendue que patience ni travail ne pourraient rien produire de comparable.

On pourrait dire beaucoup de ses œuvres, mais comme toutes ses productions sont considérées par les meilleurs peintres comme des choses divines, je m’en tiens là. En vérité, il ne s’estimait pas à sa juste valeur, et ne crut jamais être arrivé à la perfection qu’il désirait dans l’art dont il connaissait toutes les difficultés, se contentant de peu et vivant en très bon chrétien. Comme il était chargé d’une nombreuse famille, il était tourmenté du désir d’épargner, et devint si avare, qu’il n’aurait pu l’être davantage. On raconte qu’après avoir reçu à Parme un payement de soixante écus en quatrini, il voulut porter à Correggio cet argent dont il avait besoin, et partit à pied avec cette charge par un soleil brûlant. À son arrivée, harassé de fatigue et de chaleur, il but de l’eau fraîche, et, s’étant mis au lit avec une fièvre très violente, il ne s’en releva pas[3].

Il avait 40 ans environ quand il mourut. Ses œuvres datent à peu près de 1512.

À la même époque, vivait Andrea del Gobbo[4], Milanais, coloriste

  1. Ce tableau, appelé la Nuit, est au Musée de Dresde.
  2. Collection du duc de Wellington, à Aspley-House. — Une copie ancienne est à la Galerie nationale de Londres.
  3. D’après le livre des Morts de l’église San Francesco de Correggio, il fut enterré le 6 mars 1534.
  4. Solario, né vers 1458, mort après 1508.