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de Fernand Mendez Pinto.




De quelle rencontre ie fus mené en la Ville de Siaca, & de ce qui m’y aduint.


Chapitre XXIIII.



Me treuuãt reduit à l’extremité que ie viens de dire, ie fus plus de trois heures ſi hors de moy, que ie ne pouuois ny parler, ny pleurer. À la fin l’autre marinier & moy nous remiſmes dans la mer, où nous fuſmes le reſte de la iournée. Le lendemain matin ayant deſcouuert vne barque, qui s’en venoit chercher l’emboucheure de la riuiere ; ſi toſt qu’elle fut pres de nous, nous ſortiſmes hors de l’eau, & nous mettant à genoux auec les mains jointes, & eſleuées, nous le priaſmes de nous venir prendre. À l’heure meſme ils ceſſerent de ramer, & conſiderans le miſerable eſtat où la fortune nous auoit reduits, ils iugerent incontinent que nous auions fait naufrage. De maniere qu’apres nous auoir abordez, ils nous demanderent ce que nous deſirions d’eux. À cela nous leur reſpondiſmes que nous eſtions Chreſtiens, habitans de Malaca, & qu’à noſtre retour d’Aaru la tempeſte nous auoit ainſi mal-traittez depuis neuf iours ; qu’au reſte nous les prions pour l’amour de Dieu de nous emmener auec eux où bon leur ſembleroit. Là-deſſus il y en euſt vn parmy eux, que nous iugeaſmes eſtre le principal, qui prenant la parole, À ce que ie voy, nous dit-il, vous n’eſtes pas en eſtat de nous pouuoir ſeruir, & gaigner la deſpenſe que vous nous ferez, ſi nous vous receuons dedans noſtre barque. C’eſt pourquoy, ſi vous auez quelque argent caché, il eſt à propos que vous nous le donniez auparauant, & puis nous vſerons enuers vous de la charité que vous nous demandez par vos larmes. Car autrement c’eſt en vain que vous eſperez quelque remede de nous. Cela dit, ils firent ſemblant de s’en vouloir retourner, ſi bien que nous les priâmes derechef en pleurant de nous receuoir pour eſclaues, & de nous aller vendre où il leur plairoit ; à quoy i’adiouſtay