Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
Voyages Aduentureux

& pourueus abondammẽt des commoditez qui nous eſtoient neceſſaires. Cette femme eſtoit veuſue & d’honnorable maiſon, comme nous l’appriſmes depuis, & qui auoit eſté mariée au Capitaine General, qu’ils appellent Xabandar de Preuedim, que le Pate de Laſapara Roy de Quaijuan auoit tué en l’Iſle de Iaoa, dans la ville de Bancha, en l’année 1538. Lors qu’elle nous trouua, comme i’ay dit, elle venoit d’vn ſien Iunco, qui eſtoit à la rade, chargé de ſel. Et dautant qu’il eſtoit grand, & qu’il ne pouuoit paſſer à cauſe des bancs de ſable, elle le faiſoit peu à peu deſcharger auec cette grande barque. Les 23. iours que i’ay dits, eſtant expirez, Dieu voulut que nous euſmes entierement recouuré noſtre ſanté. Alors cette vertueuſe Dame nous voyant en eſtat de voyager, nous recommanda à vn marchand ſon parent qui s’en alloit à Patane, où il y auoit encore quatre-vingts lieuës de chemin. Le marchand nous fit doncques embarquer auec luy dans vn Calaluz à rame, & ce meſme iour apres auoir pris cõgé de cette Dame, à laquelle nous eſtions tant obligez, nous partiſmes de compagnie, & nauigeans ſur vne riuiere d’eau douce nommée Sumhechitano, nous arriuaſmes ſept iours apres à Patane. Or dautant qu’Antonio de Faria s’attendoit de iour en iour à nous voir de retour, auec eſperance d’auoir des nouuelles qui luy deuſſent apporter vn bon ſucces de ſa marchandise, ſi toſt qu’il nous vit & qu’il ſceut de nous ce qui s’eſtoit paſſé, il en demeura ſi triſte & ſi meſcontent qu’il fut plus de demie heure sans pouuoir dire le moindre mot. Auec cela les Portugais y vinrent en ſi grand nombre, que les maiſons pouuoient à peine ſuffire à cauſe que de la pluſpart d’entreux, la Lanchare auoit auſſi emporté de la marchandiſe, tellement que la valeur de ſa charge ſe montoit à plus de ſoixante & dix mille ducats, dont la plus grande partie eſtoit en argent monnoyé, pour auec iceluy faire emploite d’or. Antonio de Faria voyant qu’il n’y auoit plus de remede, & que les douze mille eſcus qu’on luy auoit preſtez à Malaca, auoient eſté volez miſerablement ; comme quelques-vns le voulurent conſoler en cette perte, il leur fit reſponſe, qu’il confeſſoit n’auoir pas le courage de