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de Fernand Mendez Pinto.

s’en retourner à Malaca, & y voir ſes créanciers. Car il apprehendoit, à ce qu’il diſoit, qu’ils ne luy fiſſent payer les obligations qu’il leur auoit faites. A quoy il ne pouuoit ſatiſfaire pour lors en aucune façon que ce fut ; qu’ainſi il luy ſembloit beaucoup plus à propos de pourſuiure ceux qui luy auoient volé ſõ bien, que de s’en aller vers ces autres qui l’en auoient accommodé, puis qu’il ne l’auoit plus. Alors il fit vn ſerment public deſſus le ſainct Euangile, par lequel il dit, qu’outre ce qu’il iuroit, il promettoit à Dieu de partir incontinent de ce lieu, pour s’en aller chercher celuy qui l’auoit ainſi volé ; qu’au reſte il luy en feroit rendre cent fois autant, ou de gré, ou de force, qnoy qu’il recogneuſt que cela ne ſe pouuoit, pour le grand dommage qui en eſtoit arriué. Auſſi luy ayant eſté tué ſeize Portugais, & trente ſix autres, tant garçons que Mariniers Chreſtiens, il n’eſtoit pas raiſonnable que cela se paſſat de cette ſorte, ſans que le chaſtiment s’en enſuiuit. A quoy il adiouſta que s’il n’y procedoit de cette ſorte, l’on nous en feroit vne encore le lendemain, & puis cent autres ſemblables. Tous les aſſiſtans loüerent grandement ſa valeureuſe reſolution, & pour l’execution de cette entrepriſe, il ſe trouua beaucoup de ieunes ſoldats parmy eux qui s’offrirent à l’accompagner en ce voyage, d’autres auſſi luy preſenterent de l’argent, & s’équiperent des choſes qui leur eſtoient neceſſaires. Alors ayant accepté les offres que luy firent ſes amis, il vſa d’vne telle diligence que dans dix-huict iours il fit ſes preparatifs, & aſſembla cinquante cinq ſoldats en ce voyage : il fallut que i’y retournaſſe encore pauure infortuné que i’eſtois ; car ie me voyois reduit à ce point que ie n’auois pas valant vn ſol, ny perſonne qui me le voulut donner ny preſter, ioint que ie deuois à Malaca plus de cinq cens ducats, que m’auoient preſté quelques-vns de mes amis, leſquels auec vne fois autant, mon malheur voulut que ce chien me les volaſt auec le bien des autres, comme i’ay dit cy deuant, ſans que de tout ce que ie poſſedois dans le monde, i’euſſe peu ſauuer autre choſe que mon miſerable corps bleſſé de trois coups de iauelot, & d’vn coup de pierre à la teſte, dont ie me ſuis veu par trois ou quatre fois à l’article