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Voyages Aduentureux




De ce qu’vn de ces marchands dit à Antonio de Faria, touchant l’eſtenduë de cette Iſle d’Ainan.


Chapitre XLV.



Ce vieil marchand deſirant de ſatisfaire à toutes les demandes qu’Antonio de Faria luy auoit faites, Monſieur, luy dit-il, puis qu’à preſent ie ſçay qui vous eſtes, & que la curioſité vous porte à vouloir auec vn cœur pur & net apprendre de moy ce que vous me demandez, c’eſt pourquoy ie vous diray clairement tout ce que ie ſçay de cette affaire, & ce que i’en ay ouy dire autresfois à des hommes des plus anciens, qui ont gouuerné vn long-temps cet Archipelage ; ils diſoient donc que cette Iſle eſtoit vn Eſtat abſolu ſoubs vn Roy fort riche & puiſſant, lequel pour vn tiltre plus haut & plus releué que celuy des autres Monarques de ce temps, ſe faiſoit nommer Prechau Gamuu, lequel mourant ſans laiſſer des heritiers, il y eut entre ce peuple vn ſi grand diſcord pour ſçauoir qui ſuccederoit au Royaume, que prenant accroiſſement peu à peu il cauſa vne telle effuſion de ſang, que ceux qui ont eſcrit les Chroniques qui en font mention, affirment que ſeulement en quatre ans & demy il y mourut par le fer ſeize lacazaas d’hommes, & chaque lacazaa eſt de cent mille ; ſi bien que par cette perte le pays demeura ſi deſert & ſi aride de gens, que pour lors ne ſe pouuant defendre, le Roy des Cauchins le conquit & s’en rendit le maiſtre auec ſeulement ſept mille Mogores que le Tartare luy enuoya de la ville de Tuymican, qui pour lors eſtoit Metropolitaine de tout ſon Empire. Cette Iſle d’Ainan eſtans conquiſe, le Roy de Cauchin s’en retourna en ſon Royaume, & y laiſſa pour Gouuerneur vn ſien Capitaine nommé Hoyha Paguarol, lequel en cette Iſle ſe reuolta contre luy pour quelques iuſtes raiſons qui l’inuitoient à ce faire. Or afin d’auoir pour ſupport le Roy de la Chine, il ſe rendit ſon tributaire de quatre cent mille Taeis par an, qui