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de Fernand Mendez Pinto.

qu’on le laſche pour fondre ſur le timide Heron. Mais puiſque ie ſuis partie de la maiſon de mon pere pour te venir chercher iuſques icy, viens t’en toy meſme du lieu où tu es dans ce vaiſſeau, où ie ne ſuis deſia plus, pource que ie ne puis pas voir moy meſme, qu’en te voyant. Que ſi tu ne me viens voir en l’obſcurité de cette nuict, la rendant claire pour moy, ie crains que demain au matin quand tu y arriueras, tu ne me treuues plus au nombre des perſonnes viuantes. Mon oncle Licorpinau te dira plus particulierement ce que mon cœur recole en ſoy, tant à cauſe que ie n’ay plus de bouche pour parler, que pource que mon ame ne me permet d’eſtre plus long-temps orpheline de ta veuë, comme ta ſterile condition y conſent. C’eſt pourquoy ie te prie de venir, ou de me donner permiſſion de t’aller treuuer, ſans me deſnier l’amour que ie merite enuers toy, en recompenſe de celuy que ie t’ay touſiours porté, de peur que Dieu par ſa Iuſtice, pour chaſtiment d’vne telle ingratitude, ne t’oſte le beaucoup que tu as acquis de tes Anceſtres, au commencement de ma ieuneſſe, en laquelle à preſent par mariage tu me dois poſſeder iuſques à la mort ; que Dieu comme ſouuerain qu’il eſt, vueille par ſa diuine bonté eſloigner de toy, autant d’années comme le Soleil & la Lune ont faict de tours au monde depuis le commencement de leur naiſſance. Cette Lanteaa eſtant arriuée en laquelle eſtoit venu l’oncle de l’Eſpouſée auec ſa lettre, Antonio de Faria fit cacher tous les Portugais, ſans faire paroiſtre que les Chinois que nous auions pour Mariniers, afin qu’ils n’euſſent crainte de nous aborder. Elle s’approcha doncques en aſſeurance de noſtre Iunco, & trois de ceux qui eſtoient dedans nous vindrent aborder, & eſtans entrez demanderent où eſtoit le fiancé ? Mais la reſponſe qui leur fut faite, fut de les prendre tous tels qu’ils eſtoient, & de les ietter dans l’eſcotille. Or dautant que la pluſpart d’eux eſtoient yures, ceux qui eſtoient dans la Lanteaa n’entendirent nullement la rumeur, & ſi n’eurent pas le loiſir de fuir ſi promptement, que du haut de noſtre poupe, l’on n’attachaſt vn cable à la pointe de leur maſt, auec lequel ils furent arreſtez de telle ſorte, qu’il leur fut impoſſible de ſe débaraſſer de nous, leur iettans alors quelques pots de poudre, ce qui les contraignit de ſe lancer dans la mer. Alors il ſauta dedans cinq ou ſix de nos ſoldats & autant de Mariniers, leſquels