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de Fernand Mendez Pinto.

enſe de Cauchenchina, comme nous fuſmes entrez dans vn port nommé Madel, le iour de la Natiuité de Noſtre Dame, qui eſt le huictieſme Septembre, pour la crainte que nous euſmes de la nouuelle Lune, durant laquelle il ſuruient ſouuent ſoubs ce climat vne ſi grande impetuoſité de vents & de pluyes, qu’il eſt preſque impoſſible aux Nauires d’y reſiter, & cette tourmente eſt appellée Tufan par les Chinois ; tellement qu’y ayant deſia quatre iours que le Ciel chargé de nuages nous prediſoit ce que nous apprehendions ; ioint que les Iuncos ſe venoient mettre aux abris qu’ils treuuoient là les plus proches, parmy pluſieurs qui entrerent dans ce port, Dieu permit qu’il y en euſt vn entre les autres, d’vn fameux Corſaire Chinois nommé Hinimilau, qui de Gentil qu’il auoit eſté, s’eſtoit depuis peu rendu Mahumetan, induit à cela (comme l’on diſoit) par les Cacis de la maudite ſecte Mahumetane, dont il auoit fait profeſſion n’agueres, & qui l’auoit rendu ſi grand ennemy du nom Chreſtien, qu’il ſe vantoit publiquement que Dieu luy deuoit le Ciel, pour les grands ſeruices qu’il luy auoit faits ſur terre, en la dépeuplant peu à peu de la nation des Portugais, qui dés le ventre de leur mere ſe plaiſoient en leurs offenſes, comme les propres habitans de la Maiſon enfumée, nom qu’ils donnent à l’Enfer ; & ainſi par ces paroles, & par d’autres blaſphemes ſemblables il diſoit de nous tout ce qu’on pourroit iamais s’imaginer de ſale & d’abominable. Ce Corſaire entrant en la riuiere dans vn Iunco fort grand & haut eſleué, auec tous ceux de ſa ſuitte qui s’occupoient au trauail de la nauigation, à cauſe que le Ciel s’obſcurciſſant preſageoit vne tourmente, s’approcha du lieu où nous eſtions à l’anchre, & nous ſalua à la façon de ceux du pays. Alors nous luy rendiſmes le ſalut de la meſme ſorte, comme c’eſt la couſtume de faire aux entrées des ports de ce pays-là, ſans que iuſques alors ils nous euſſent recogneus pour eſtre Portugais, non plus que nous ne les recognoiſſions point. Car nous croyons qu’ils fuſſent Chinois, & qu’ils ſe vinſſent mettre à couuert en ces ports, pour ſe parer de la tourmente comme les autres. La deſſus voila que cinq ieunes hommes Chreſtiens, que ce voleur