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Voyages Aduentureux

supportable, comme ſi ſa gloire n’euſt point eu d’autre fondement que ſa cruauté. Car n’eſtant pas contente de m’auoir fait naiſtre, & viure miſerable en mon pays, durant ma ieuneſſe, non ſans apprehender les dangers qui me menaçoient, elle m’a conduit aux Indes Orientales, où au lieu du ſoulagement que ie m’en allois y chercher, elle m’a fait treuuer vn accroiſſement à mes peines, à meſure que mon âge s’eſt augmenté. Puis donc qu’il a pleu à Dieu de me deliurer de tant de dangers, & me garantir des fureurs de cette fortune ennemie, pour me rendre en vn port de ſalut & de ſeureté, ie voy que ie n’ay point tant de ſuiet de me plaindre de mes trauaux paſſez, que i’en ay de luy rendre graces des bien-faits que iuſques à preſent i’ay receu de luy, puis que par ſa diuine bonté il m’a conſerué la vie, afin de me donner moyen de laiſſer à mes enfans, pour memoire & pour heritage, ce diſcours rude & malpoli. Car mon intention n’eſt autre que de l’eſcrire pour eux, afin qu’à l’aduenir ils puiſſent voir combien grandes ont eſté les fortunes que i’ay couruës par l’eſpace de vingt & vn an, que i’ay eſté treize fois captif, & dix-ſept fois vendu aux Indes, en Ethiopie, en l’Arabie heureuſe, à la Chine, en Tartarie, à Madagaſcar, en Sumatra, & en pluſieurs autres Royaumes & Prouinces de cet Oriental Archipelago, des confins de l’Aſie, que les Autheurs Chinois, Siames, Gueos, & Lecquiens, nomment auec raiſon en leur Geographie, les paupieres du monde, de quoy i’eſpere traitter cy apres en particulier & fort amplement, par où les hommes pourront prendre exemple à l’aduenir, & reſolution à ne perdre courage, quelques trauerſes & trauaux de la vie qui leur arriuent. Car toutes les diſgraces de la fortune ne doiuent point nous éloigner tant ſoit peu, du deuoir que nous ſommes obligez de rendre à Dieu, à cauſe qu’il n’y a point de trauaux, pour grands qu’ils soient, que la nature humaine ne treuue ſupportables, eſtant fauoriſée de l’aſſiſtance diuine. Or afin que l’on m’aide à rendre graces au Seigneur tout puiſſant, de ce qu’il a vſé enuers moy d’vne miſericorde infinie, ſans auoir égard à tous mes pe-