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de Fernand Mendez Pinto.

& d’eſclaues ; de ſorte que ces pauures gens là ſe voyans ainſi volez & captifs ſe mirent à regretter leur perte, qu’ils eſtimoient se monter à 40000. ducats. Ce qui fut cauſe que ces Corſaires ſe voyans ainſi Maiſtres d’vn ſi riche butin, changerent le deſſein qu’ils auoient d’aller à la Rache, & firent voile du coſté de France, emmenant auec eux Eſclaues ceux des noſtres, qu’ils iugerent propres pour le ſeruice de leur nauigation. Pour nous autres qui reſtaſmes, ils nous laiſſerent de nuict à la rade, en vn lieu nommé Melides, où nous demeuraſmes tous nuds miſerablement, & couuerts ſeulement des playes, que nous auions sur le corps, cauſées par le grand nombre de coups de foüet, que nous auions receus les iours precedens. En ce pitoyable equipage nous arriuaſmes le lendemain matin à S. Iacques de Cacen. Là nos miſeres furent ſoulagées par les habitans du lieu, principalement par vne Dame, qui pour lors y eſtoit, nommée Doña Beatrix, fille du Comte de Villanova, & femme d’Alonſo Perez Pantoja, Commandeur & grand Preuoſt de la meſme Ville. Or apres que les malades & les bleſſez furent tous gueris, chacun de nous s’en alla où il croyoit eſtre ſon mieux, pour y ſoulager sa pauureté. Pour moy chetif que i’eſtois, auec ſix ou ſept de ceux qui m’accompagnoient en ma miſere, ie pris le chemin de Setuual. Là ie ne fus pas ſi toſt arriué, que ma bonne fortune me mit au seruice de Franciſco de Faria, Gentilhomme du grand Commandeur de S. Iacques, qui pour recompenſe de quatre années de ſeruice que ie luy auois rendu, me donna à ce meſme Commandeur pour le ſeruir à la Chambre ; comme en effet ie le ſeruis depuis vn an & demy. Mais dautant que les gages que l’on donnoit pour lors dans la maiſon des Princes, eſtoient ſi peu de choſe, qu’ils ne pouuoient ſuffire pour m’entretenir, la neceſſité me contraignit de quitter mon Maiſtre, auecque deſſein de m’ayder de ſa faueur, & taſcher de m’embarquer pour aller aux Indes. Car c’eſtoit là l’intention principale que i’auois alors, & le moyen le plus fauorable que ie pouuois eſperer pour remedier à ma pauureté. Ainſi bien qu’en