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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/234

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Voyages Aduentureux

uoir eſgard à nos pechez, vous nous regardiez des yeux de voſtre pitié, & de cette infinie miſericorde dont vous eſtes remply. Apres ces paroles ils ſe mirent tous à dire, Seigneur Dieu miſericorde, auec des cris ſi pitoyables, qu’il n’y euſt celuy qui ne ſe paſmaſt de douleur & de triſteſſe ; & comme tous les hommes qui ſe trouuent en de ſemblables afflictions, ſe laiſſent porter naturellement à la conſeruation de leur vie, ſans penſer qu’à cela ſeulement, il n’y euſt celuy d’entr’eux qui ne cherchaſt les moyens de ſauuer la ſienne, tellement que tous enſemble s’employerent à deſcharger leur vaiſſeau, iettant leur marchandiſe dans la mer. Pour cét effect il ſauta au bas du Nauire enuiron cent hommes, tant Portugais, qu’eſclaue, & Mariniers, qui en moins d’vne heure ietterent tout dans la mer, ſans qu’en vn danger ſi eminent ils priſſent garde à ce qu’ils faiſoient, car ils y jetterent meſme douze grandes quaiſſes pleines de lingots d’argent, que l’on auoit priſes à Coja Acem en cette derniere rencontre, ſans y comprendre pluſieurs autres choſes de grand prix, dont le Nauire fut allégé.




Continuation du grand danger que nous couruſmes, & du ſecours qui nous arriua là-deſſus.


Chapitre LXII.



Ayant ainſi paſſé la nuit nuds que nous eſtions, bleſſez, tous hors d’haleine à cauſe du grand mal que nous auions enduré, à la fin comme le iour commença de paroiſtre, il plût à Dieu que le vent cõmençaſt auſſi à ſe diminuer ; ce qui fut cauſe que le Iunco demeura vn peu plus en repos, bien que pour lors il fut ſur le haut du banc, & qu’il y euſt dedans quelques treize pans d’eau ; tellement que pour taſcher d’eſquiuer vn ſi grand danger qui nous menaçoit, nous ſortiſmes tous dehors, & nous attachaſmes au cordage qui bandoit hors le Nauire, pource que les vagues battoient auec tant de