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de Fernand Mendez Pinto.

que les autres Iuncos les vinſſent ſecourir en cette affliction, Antonio de Faria n’y voulut iamais conſentir, diſant que puis que noſtre Seigneur auoit agreable qu’il ſe perdit en ce lieu-là, qu’il n’y auoit point d’apparẽce que les autres y fiſſent naufrage à cauſe de luy ; mais qu’il prioit vn chacun de le ſecourir, tant par le trauail manuel, que par ſecrettes prieres, en demandant à Dieu pardon des pechez commis, afin d’obtenir grace pour l’amendement de leur vie. Surquoy il les aſſeura, que s’il ſe faiſoit ainſi, en fort peu de temps ils ſeroient deliurez de tout danger. Cela dit, il fit coupper le grand maſt ioignant le tillac, qui ne fut pas pluſtoſt abbatu que le Iunco demeura plus en repos qu’auparauant. Mais helas ! ſa cheute couſta la vie à trois Mariniers, & à l’vn de nos valets, qui s’eſtans trouuez deſſous lors qu’il vint à cheoir, en furent tous eſcraſez. Par meſme moyen il fit coupper tous les autres maſts de pouppe & de proüe, & raſer les œuures mortes comme les chambres, & les galeries de dehors ; de ſorte que tout demeura à raze du premier tillac. Et quoy que tout cela ſe fit auec vne diligence incroyable, neantmoins il ne nous ſeruit preſque de rien ; parce que le temps eſtoit ſi irrité, la mer ſi enflée, la nuit ſi obſcure, les vagues ſi furieuſes, la pluye ſi forte, & l’impetuoſité de l’orage ſi inſupportable, qu’il n’y auoit perſonne qui fut capable d’y reſiſter. Cependant voila que les autres quatre Iuncos nous firent auſſi vn ſignal comme s’ils ſe fuſſent perdus. Surquoy Antonio de Faria iettant les yeux vers le Ciel, & ioignãt les mains, Seigneur, dit-il deuant tous, comme par voſtre miſericorde infinie vous vous eſtes chargé en croix de ſatisfaire pour les pecheurs ; ainſi ie vous ſupplie que tout miſericordieux que vous eſtes, par le chaſtimẽt de voſtre dinine Iuſtice, ie puiſſe endurer ſeul les offenſes que ces hommes que voicy vous ont faites, puiſque ie ſuis la principale cauſe de ce qu’ils ont peché contre voſtre diuine bonté. Permettez donc, Seigneur, qu’en vne ſi triſte nuit ils ne ſe puiſſent voir en l’eſtat où ie me trouue à preſent reduit à cauſe de mes pechez. C’eſt pourquoy, Seigneur, ie vous prie auec vne ame repentante, & au nom de tous, encore que ie ne ſois pas digne d’eſtre ouy de vous ; qu’au lieu d’a-