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de Fernand Mendez Pinto.




Comme nous nous perdiſmes dans l’enſe de Nanquin, & de ce qui nous y arriua.


Chapitre LXXIX.



Il y auoit deſia ſept iours que nous n’auigions par le milieu de l’enſe de Nanquin, afin que la force du courant nous menaſt plus viſte, comme perſonnes qui ne mettions noſtre ſalut qu’en la fuite : car nous eſtions ſi deſolez & ſi triſtes, que nous ne diſions rien à propos, non plus que ſi nous euſſions eſté hors de nous meſmes. Cependant nous arriuaſmes à vn village qui se nõmoit Suſequerim ; & d’autant qu’il n’y auoit là aucune nouuelle de nous, ny du lieu d’où nous venions, apres nous y eſtre pourueus de quelques viures, nous informant ſans faire ſemblant de rien de la route que nous deuions prendre, nous en ſortiſmes deux heures apres ; puis auec le plus de diligence que nous puſmes faire, nous entraſmes dans vn deſtroit appellé Xalingau, bien moins frequẽté que l’enſe par où nous eſtiõs venus. Là nous couruſmes encore neuf iours, durant leſquels nous fiſmes cent quarante lieuës ; puis rentrant dans la meſme enſe de Nanquin, qui en ce lieu n’auoit pas dauantage que dix ou douze lieuës de large, nous fiſmes voile par noſtre route, d’vn bord à l’autre auec le vent Oüeſt, & ce par l’eſpace de treize iours bien ennuyés du grand trauail & de l’extreme apprehenſion que nous auions ; ioint que les viures commençoient deſia de nous manquer ; comme nous fuſmes en veuë des monts de Conxinacau qui ſont à la hauteur de quarante & vn degrez deux tiers, il ſuruint vn vent du Sud que les Chinois appellent Tufaon, tellement impetueux, qu’il n’y auoit pas apparence de croire que ce fuſt vne choſe naturelle. Ainſi cõme nos vaiſſeaux eſtoient de rame, bas de bord, foibles & ſans mariniers, nous nous viſmes reduits à vne ſi grande extremité, que nous deffiants