Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
Voyages Aduentureux

la teſte en bas, & tout à l’entour ſe liſoient ces mots pour deuiſe, Ingualec finguau, potim aquarau ; c’eſt à dire, Il en eſt ainſi de tout ce qui eſt à moy. Nous appriſmes depuis que par ce monſtre eſtoit repreſentée la figure du monde, que les Chinois dépeignent en cette ſorte pour monſtrer qu’il n’y a rien en luy que menſonge, & deſabuſer par ce moyen tous ceux qui en font eſtat, leur faiſant voir que toutes choſes y ſont renuerſée. De là nous montaſmes par vn eſcalier fort large fait de bonne pierre de taille, & entraſmes dans vne grande ſalle dans laquelle eſtoit vne femme aagée d’enuiron cinquãte ans. Elle eſtoit aſſis ſur vn tapis, ayant à ſes coſtez deux filles fort belles, & richement veſtuës, auec des colliers de perles à leur col. Là tout aupres ſe voyoit vn vieillard couché ſur vn petit lit, & qu’vne de ſes deux filles éuentoit. Pres de luy meſme eſtoit le ieune Gentil homme qui nous auoit enuoyé querir, & vn peu plus loing eſtoient encore aſſiſes ſur vn autre tapis, neuf ieunes filles veſtuës de damas cramoiſy & blanc, qui trauailloient au petit meſtier. Sitoſt que nous fuſmes pres du vieillard, nous nous miſmes à genoux deuant luy, & luy demandaſmes l’aumoſne, commençant noſtre harangue par quelques larmes que nous reſpandiſmes, auec les meilleurs paroles que le temps & la neceſſité nous purent inſpirer à ce beſoin. Alors la vieille Dame nous ayant fait ſigne de la main, C’eſt aſſez pleuré, nous dit-elle, car i’ay du mal moy meſme de vous voir ainſi reſpandre des larmes, il me ſuffit de ſçauoir que vous demandez l’aumoſne. En ſuite de cela, le vieillard qui eſtoit au lit priſt la parole & nous demanda s’il y auoit quelqu’vn de nous qui ſçeut guerir des fievres ? Surquoy l’vne de ces filles, qui eſtoit celle là méme qui l’euentoit, ne pouuant s’empeſcher de ſouſ-rire, Vrayement, Monſieur reſpondit-elle, ie m’aſſeure qu’ils ont bien plus beſoin que vous les faſſiez panſer de la faim, que non pas d’eſtre enquis s’ils ſont d’vn meſtier qu’ils n’ont poſſible iamais appris. C’eſt pourquoy il me ſemble qu’il ſera meilleur de leur donner premieremẽt ce qui leur eſt neceſſaire : puis on s’entretiẽdra auec eux de ce qui les touche le moins. A ces mots la mere s’eſtãt miſe à reprendre ſa fille, Voyla que c’eſt, luy dit-elle, vous