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Voyages Aduentureux




De la charité auec laquelle nous fuſmes traitez en cette priſon, & du ſurplus qui nous y arriua.


Chapitre LXXXVI.



Apres que l’on nous eut foüettez de la façon que ie vous viens de dire, nous fuſmes conduits dans vne grande chambre qu’il y auoit dans la priſon en façon d’infirmerie, où eſtoient couchez pluſieurs malades & bleſſez, les vns ſur des licts, & les autres emmy la place. Là nous fuſmes panſez incontinent auec quantité de drogues, de lauements, de reſtringents, & de poudres que l’on mit pardeſſus nos playes ; par où fut vn peu allegée la douleur que nous ſentions des coups de foüet. A quoy s’employoient des hommes fort honorables, tels que peuuent eſtre en Portugal parmy nous les Confreres de la Miſericorde qui ſeruent charitablement & pour l’honneur de Dieu ceux qui ſont malades, & les pouruoyent liberalement de ce qui leur eſt neceſſaire. Comme il y auoit deſia vnze iours que l’on nous panſoit, nous commencions de nous trouuer vn peu mieux, mais ſur le point que nous regrettiõs noſtre mauuaiſe fortune en ce qu’on nous auoit condamnez rigoureuſement à auoir les poulces couppez, il plût à Dieu qu’vn matin, lors que nous ne penſions à rien moins, nous viſmes entrer dans l’infirmerie deux hommes de bonne mine, veſtus de longues robbes de ſatin violet, & qui portoient en main des verges blanches en façon de ſceptres. A l’abord de ceux-cy tous les malades qui eſtoient dans la chambre s’eſcrierent, Pitau Hinacur Macuto Cheudoo, c’eſt à dire, que les Miniſtres des œuures de Dieu viennent auec luy ; à quoy ils reſpondirent hauſſant leurs verges ; plaiſe à Dieu vous donner patience en vos trauaux & vos aduerſitez. Alors s’eſtant mis à donner des habillemens & de l’argent à ceux qui eſtoient les plus proches d’eux, ils s’en vindrent iuſques à nous ; & apres nous auoir ſalüez fort courtoiſement auec de-