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de Fernand Mendez Pinto.

ſonnable d’y aller ſans y porter quelque offrande au corps du Prophete Noby (ainſi nomment-ils leur Mahomet) : choſe, diſoit-il, qui deſplairoit entierement à Razaadate Maulana, principal Preſtre de la Ville de Medina Talnab, qui ſans cela n’octroyeroit aucune ſorte de grace, ny de pardon, aux habitans de cette Ville, qui pour leurs grandes offences auoient vn extréme beſoin de la faueur de Dieu, & de ſon Prophete.

Le Capitaine ayant oüy parler ainſi le Cacis, luy remonſtra que pour ſon particulier il n’auoit aucun pouuoir de diſpoſer de tout le butin à ſa volonté, & qu’il s’adreſſaſt à Solyman Dragut ſon Gendre, à cauſe que c’eſtoit luy qui nous auoit fait eſclaues, tellement qu’à luy ſeul appartenoit le droit de faire de nous ce que bon luy ſembleroit. Il eſt vray, adiouſta-t’il, que ie ne penſe pas qu’il vueille contre-dire vne intention ſi ſaincte que celle-cy. Tu as raiſon, luy reſpondit le Cacis, mais il faut auſſi que tu ſçaches que les choſes de Dieu, & les aumoſnes faites en ſon nom, perdent leur valeur & leur force, lors qu’elles ſont criblées par tant de main, & eſpluchées par tant d’opinions humaines. Ce qui eſt cause que peu ſouuent s’en enſuiuent des reſolutions diuines, principalement en vn ſuiet tel que celuy-cy, dont tu peux diſpoſer abſolument, en qualité de Souuerain Capitaine de ce peuple. D’ailleurs, comme il ne ſe treuuera perſonne à qui telle choſe ſoit deſagreable, ie ne croy pas qu’elle te doiue non plus apporter aucun suiet de meſcontentement. Car outre que cette demande eſt fort iuſte, elle eſt encore agreable à noſtre Prophete Noby, qui eſt l’abſolu Seigneur de cette priſe ; attendu que la victoire eſt venuë de ſa ſaincte main, & qu’auec autant de fauſſeté que de malice, tu en veux attribuer la gloire à la valeur de ton Gendre, & au courage de ſes soldats. À meſme temps voyla qu’vn Ianniſſaire, qui eſtoit Capitaine d’vne des trois Galiottes, qui nous auoient faict eſclaues, homme que ſon extréme valeur mettoit en tres-grande eſtime parmy eux, & qui s’appelloit Copa Geynal, irrité de ce qu’il auoit oüy dire à ce Cacis, tant à ſon meſpris, que de tous les autres ſoldats, qui auoient faict d’eſtranges efforts de vaillance, pour nous réduire à la chaiſne, luy dit ces mots pour reſponſe. Aſſeurément il vous vaudroit mieux pour le ſalut de