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Voyages Aduventureux

voſtre ame, diſtribuer à ces pauures ſoldats les exceſſiues richeſſes que vous poſſedez, qu’auecque des feintes paroles, pleines d’hypocriſie, & de tromperies, taſcher de leur deſrober ces eſclaues, qui ont couſté la vie à tant de braues guerriers, leurs compagnons d’armes, par la main de ceux-là meſme que vous voyez ainſi liez & captifs ; ſans doute ils nous ſont aſſez chers vendus, à nous qui ſommes demeurez en vie, pour les auoir acheptez au prix de noſtre ſang, que nous auons reſpandu en abondance. Dequoy ſont des teſmoignages certains les coups dont nous ſommes tous couuerts, qui ſont bien plus rouges du ſang des bleſſeures, que nous auons receuës d’eux, que de celles que nous leur auons faites ; combien que nous les ayons reduits en l’eſtat où les voyla maintenant. L’on n’en dira pas de meſme de voſtre Cabayge (robe Sacerdotale à leur mode) qui pour nette & polie qu’elle ſoit, ne laiſſe pas de couurir en vous vne pernicieuſe habitude d’eſtre larron & Corſaire du bien d’autruy. Par ainſi deſiſtez-vous hardiment de la damnable volonté que vous auez conceuë contre les Maiſtres abſolus de cette priſe, de laquelle vous ne ſerez point poſſeſſeur, & cherchez à faire quelque autre preſent aux Cacis de la Mecque, afin qu’ils cachent vos larrecins, enſemble vos autres meſchancetez, pourueu que cela ne ſe faſſe aux deſpens de nos vies & de noſtre ſang, mais pluſtoſt des biens que vos Anceſtres vous ont laiſſez, & que vous augmentez par des inuentions pleines de meſchancetez & de tromperies.

Ce Cacis Moulana ayant oüy vne reſponce ſi librement faite par ce Capitaine, la treuua fort rude, & de mauuaiſe digeſtion, à cauſe qu’elle eſtoit en faueur des gens de guerre. Ce qui fut cauſe qu’en termes diſſimulez, & eſloignez de tout reſpect, il ſe meit à blaſmer le Capitaine, & les ſoldats qui eſtoient là preſens, leſquels, tant Turcs que Mahumetans, ſe ſentans offencez par de ſi mauuaiſes raiſons, ſe liguerent, & ſe mutinerent contre luy, & contre le reſte du peuple, à la faueur duquel il auoit parlé ſi inſolemment, ſans que cette mutinerie ſe pût appaiſer en aucune façon que ce fuſt : combien que le Gouuerneur de la Ville, beau-pere du ſuſdit Solyman Dragut y fit ſon poſſible, accompagné qu’il eſtoit de tous les Officiers de la Iuſtice. En