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Voyages Aduventureux

mains d’vn Grec renié, lequel ie deteſteray toute ma vie, pource qu’en l’eſpace de trois mois que ie fûs auec luy, il me traitta ſi cruellement, que me voyant comme reduit au deſeſpoir, pour ne pouuoir ſupporter le mal qu’il me faiſoit ; pour m’en deliurer, ie fûs ſept ou huict fois ſur le poinct de m’empoiſonner, ce que i’euſſe fait ſans doute, ſi Dieu par ſa diuine miſericorde & bonté, n’euſt deſtourné loin de moy ce meſchant deſſein. Ce que i’eſtois reſolu d’executer en partie, afin de luy faire perdre l’argent que ie luy couſtois, pource que c’eſtoit l’homme du monde le plus auare, le plus inhumain, & le plus cruel ennemy du nom Chreſtien, que l’on euſt iamais peu rencontrer. Mais à la fin des trois mois il pleuſt à Dieu me deliurer des cruelles mains de ce Tyran, qui de crainte de perdre l’argent que ie luy couſtois, s’il me fuſt aduenu de me faire mourir volontairement, dequoy luy auoit donné aduis vn de ſes voiſins, qui luy dit l’auoir reconneu à mon viſage, & à mes façons de faire, & lequel prenant pitié de moy luy conseilla de me vendre : cela fut cauſe qu’il s’y accorda bien-toſt apres ; car il me vendiſt à vn Iuif nommé Abraham Muça, natif d’vne Ville, qu’ils nomment en ces quartiers-là Toro, eſloignée d’vne lieuë & demy du Mont Sinay. Cetuy-cy ſe fiſt bailler pour le prix de mon rachapt, la valeur de 300. reales en dates, qui eſtoit la Marchandiſe dont ce Iuif faiſoit trafic d’ordinaire ; auec ce nouueau Maiſtre ie partis pour m’en aller de Babylone à Cayxem, en la compagnie de pluſieurs Marchands. De là il me mena à Ormuz, & m’y preſenta à Dom Fernand de Lima, qui pour lors eſtoit Capitaine de la fortereſſe ; enſemble au Docteur Pedro Fernandez, Commiſſaire General des Indes, qui en ce temps-là reſidoit à Ormuz, pour le ſeruice du Roy, & ce par l’ordre du Gouuerneur Nuno de Cunha. Ces deux cy, à ſçauoir Fernandez, & de Lima, donnerent pour moy au Iuif deux cens Pardaos de recompenſe, qui valent la piece trente ſept ſois ſix denier de noſtre monnoye, dont partie eſtoit de leur argent, & le ſurplus des aumoſnes qu’ils auoient fait queſter pour moy par la Ville : tellement que nous demeuraſmes