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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/46

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Voyages Aduventureux

uoient amené, à cauſe qu’on l’attendoit aux Indes de iour en iour. Il y en auoit auſſi qui diſoient que c’eſtoit le Patemarcaa, auec les cent Fuſtes de Camorin, Roy de Calicut, & quelques vns aſſeuroient que par bonnes & ſuffiſantes raiſons, ils iuſtifieroient que ceſtoient les Turcs. Comme nous eſtions dans cette diuerſité d’opinions, tous effrayez de la crainte que nous cauſoit ce que nous voyons deuant les yeux, voyla que du milieu de cette flotte ſortirent cinq Galeres fort grandes, qui auoient les voiles barrées de verd & de rouge, auec grande quantité de flammes, bannieres, & gaillardets, que nous voyons par-deſſus leurs tentes, au haut de leurs arbres, & au bout de leurs antennes ; ioinct que quelques-vnes de ces meſmes banderoles & flammes eſtoiẽt tellement longues, qu’il s’en falloit fort peu que de leurs pointes elles ne touchaſſent la mer à fleur d’eau. Ces Galeres ainſi équipées ſe demeſlerent, & ſorties qu’elles furent du milieu de leur armée, elles firent voile, & tournerent leurs prouës vers nous, d’vne façon ſi hardie, & ſi courageuſe, qu’à leur nauigation nous iugeaſmes incontinent qu’elles eſtoient Turques. Ce que nous n’euſmes pas pluſtoſt reconneu au vray, que nous fiſmes force de voile pour les fuir, & gaigner la haute mer, non ſans vne grande apprehenſion, que pour nos pechez il ne nous arriuaſt vn autre accident pareil à celuy que nous auions euité depuis peu. Ces cinq Galeres ayans remarqué noſtre fuite, prirent reſolution de nous ſuiure, & nous donnerent la chaſſe iuſqu’à la nuit, en laquelle il pleuſt à Dieu qu’elles gaignerent le bord vers la terre, & s’en retournerent à l’armée d’où elles eſtoient ſorties. Tellement que tout autant de gens que nous eſtions dans noſtre Nauire, nous voyans libres d’vn ſi grand danger, nous en fuſmes grandement contens, & arriuaſmes deux iours apres en la Ville de Chaül, où noſtre Capitaine, & les Marchands ſeulement meirent pied à terre. Là ils s’en allerent tout auſſi-toſt viſiter le Capitaine de la fortereſſe, nommé Simon Guedez, à qui ils firent le recit de ce qui leur eſtoit arriué. Surquoy pour toute reſponſe ; Aſſeurement, leur dit-il, vous eſtes fort obligez de rendre graces à Dieu,