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Voyages Aduentureux

allaſt bellement allumer la méche, il prit la harquebuze au lieu où elle eſtoit penduë, & la voulant charger comme il m’auoit veu faire quelquesfois, ne ſçachant pas la quantité de poudre qu’il y falloit mettre, il emplit le canon de la hauteur de plus de deux empans, puis y mit la balle, la coucha en ioug en intention de tirer contre vn oranger qui n’eſtoit pas loing de là : mais le feu s’y eſtant pris, le malheur voulut pour luy que la harquebuze creua par trois endroits, & le bleſſa de deux coups, dont l’vn luy eſtropia preſque le poulce de la main droite. À l’heure meſme ce ieune Prince ſe laiſſa cheoir comme mort ; ce que voyant les deux Gentils-hommes de ſa ſuitte, ils prirent la fuitte vers le Palais, & s’en allerent criant par les ruës que la harquebuze de l’Eſtranger auoit tué le Prince. À cette triste nouuelle il ſe leua tout à coup vn ſi eſtrãge bruit, que les habitans accoururent incontinent auec des armes & de grands cris en la maiſon où i’eſtois, Dieu ſçait ſi ie ne fus pas bien eſtonné lors que venãt à m’eſueiller ie vis cette émotion, enſemble ce ieune Prince eſtendu par terre prés de moy, & qui eſtoit comme noyé dans ſon ſang ſans remuer ny pied ny main. Tout ce que ie pûs faire alors fut de l’embraſſer, ſi hors de moy meſme que ie ne ſçauois où i’eſtois. Durant ces choſes, voyla ſuruenir le Roy aſſis ſur vne chaire à bras, où quatre hommes le portoient ſur leurs eſpaules, & ſi deffait qu’il ſemble qu’il paroiſſoit eſtre plus mort que vif. Apres luy venoit la Royne à pied qui ſe ſouſtenoit ſur deux de ſes Dames, qui eſtoient ſuiuie tout de meſme par ſes deux filles, qui marchoient toutes eſcheuelées & enuironnées d’vn grand nombre de Dames, qui eſtoient toutes comme paſmées. Sitoſt qu’elles eurent mis le pied dans la chãbre, & veu le ieune Prince eſtendu par terre, comme s’il euſt eſté mort, cependant que ie tenois embraſſé, & que nous eſtions tous deux veautrez dans le ſang, ils conclurent tous que ie l’auois tué, ſi bien que deux de la troupe, tenants en main leurs cymeterres tous nuds me voulurent oſter la vie ; Dequoy s’eſtant apperceu le Roy ; Tout beau s’eſcria-t’il, tout beau, qu’on ſçache premierement comment la choſe s’eſt paſſé ; car i’ay peur que cela ne vienne de plus loing, & que cet homme-là