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Voyages Aduventureux

Auec ceſte reſponſe, l’Ambaſſadeur s’en retourna tout effrayé des langages que Gonzallo luy auoit par pluſieurs fois repeté. Eſtant arriué chez la Royne ſa Maiſtreſe, il luy ſceut ſi bien confirmer la verité de la reſponſe, qu’il luy apportoit de la part du Capitaine, qu’elle iugea tout incontinent que ceſte Galere luy ſeroit ſans doute vn ſuiet de luy faire perdre ſon Royaume ; & qu’ainſi pour euiter vn ſi grand malheur il falloit neceſſairement que par toutes ſortes de voyes elle taſchaſt de ne point rompre la paix auec noſtre General. Dequoy s’eſtant conſeiliée aux ſiens, par leur aduis elle dépeſcha derechef vers luy pour Ambaſſadeur vn autre Brachmane, homme d’aage, maieſtueux, & ſon plus proche parent. À ſon arriuée où eſtoient nos Fuſtes, le Capitaine Gonzallo luy fit vn fort bon accueil ; puis apres les ceremonies & les complimens ordinaires, le Brachmane ayant demandé qu’il luy fuſt permis de faire le recit de ſon Ambaſſade ; Seigneur, dit-il au Capitaine, ſi vous me donnez audience, ie prendray la parole deuant vous, & vous diray le ſuiet qui m’ameine icy de la part de la Royne d’Onor ma Maiſtreſſe. À ces paroles Gonzallo reſpondit, que les Ambaſſadeurs auoient touſiours ſeureté de leurs perſonnes, & permißion de declarer librement le contenu de leur Ambaſſade, ſi bien qu’il pouuoit dire hardiment tout ce qu’il voudroit. Le Brachmane l’ayant remercié, Certainement, continua-t’il, il ne m’eſt pas poßible de vous repreſenter combien eſt ſenſible à la Royne ma Maiſtreſſe la mort de voſtre fils, & des autres Portugais, qui demeurerent hier ſur la place, en la bataille qui ſe donna. Et ſans mentir, ie vous iure par ſa vie, & par le Cordon de Brachmane que ie porte, marque de ma dignité de Preſtre, donnée à tous ceux qui en font profeßion, comme moy qui l’exerce dés ma ieuneſſe, pour me faire diſcerner d’auec le reſte du peuple ; qu’elle s’eſt tellement affligée quand elle a ſceu voſtre déſaſtre, & le funeſte ſuccez de voſtre combat, qu’elle n’euſt pas eſté plus faſchée ſi au meſme inſtant on luy euſt faict manger de la chair de vache (qui eſt le plus grand peché qui ſe commette entre nous) à la principale porte du Temple, où ſon pere eſt enſeuely. Par où vous pouuez iuger, Seigneur, combien eſt grande la part qu’elle prend à voſtre ennuy. Mais puis qu’aux choſes faictes il n’y a point de remede, elle deſire, & vous