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Voyages Aduventureux

à la meſme Lanchare où il eſtoit venu, & fut accompagné de dix ou douze Balons, qui ſont de petites barques, qui s’en allèrent iuſques en l’Iſle d’Vpe, eſloignée du port de demie lieuë ſeulement. Là meſme le Bandera de Malaca (qui eſt comme l’Intendant de la Iuſtice entre les Mahometans, & le plus abſolu en ce qui touche le commandement & la dignité) ſe treuua exprez par la commiſſion qu’il en euſt de Pedro de Faria, pour le traitter en ce partement. Comme en effet il luy fit vn grand feſtin à leur mode, lequel fut accompagné de haults-bois, tambours, trompettes, & cymbales ; enſemble d’vne bonne muſique de voix accordées au ſon des harpes, des doucines, & des violes, le tout à la façon de Portugal. Dequoy cét Ambaſſadeur s’eſmerueilla tellement, qu’il en mit le doigt à la bouche, action couſtumiere à ceux de ce païs, quand ils s’eſtonnent de quelque choſe. Cependant ſur l’aduis que donnerent certains Mahometans à Pedro de Faria, vingt-iours apres le partement de cét Ambaſſadeur, que s’il enuoyoit au Royaume des Batas quelques marchandiſes des Indes, il y pourroit profiter beaucoup, & encore dauantage ſur celles qu’on pourroit tirer de ce païs ; pour cét effet il fiſt équiper vn Iurupango, de la grandeur d’vne petite Carauelle, où pour lors il ne voulut hazarder que dix mille ducats.

Or afin de les faire profiter, il mit dans ce vaiſſeau vn certain Mahometan, natif de Malaca, & me demanda ſi i’y voulois aller auſſi pour luy tenir compagnie, adiouſtant qu’en tel cas ie l’obligerois infiniment, pource que par ce moyen, ſous pretexte d’eſtre enuoyé Ambaſſadeur en ce païs-là, ie pourrois voir le Roy Bata, & meſme m’en aller auec luy contre Achem, choſe qui me feroit profitable en quelque façon. Or afin qu’eſtant de retour de ce païs-là, ie luy fiſſe vn veritable recit de tout ce que i’y aurois veu, il me pria de bien remarquer tout ce qui s’y paſſeroit, & de m’informer par meſme moyen s’il eſtoit vray qu’en ces contrées fût l’Iſle d’Or ſi fort renommée, de laquelle il auoit intention d’eſcrire au Roy de Portugal, s’il en découuroit quelque choſe. Sans mentir i’euſſe bien voulu m’excu-