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de Fernand Mendez Pinto.

ſer de faire ce voyage, à cauſe que ces païs m’eſtoient inconnus, & les habitans tenus d’vn chacun pour dire grandement perfides & traiſtres ; ioinct que ie n’y pouuois pas beaucoup profiter, pour n’auoir que cent ducats deuant moy. Mais dautant que ie n’oſay point m’oppoſer à la volonté de ce Capitaine, ce fut à mon grand regret que i’embarquay auec l’infidelle, qui eſtoit conducteur de la Marchandiſe. Le Pilote trauerſa de Malaca au port de Surotilau, qui eſt en la coſte du Royaume d’Aaru, coſtoyant touſiours l’Iſle de Samatra, vers la Mer Méditerranée, iuſqu’à ce qu’en fin nous arriuaſmes à vne certaine riuiere nommée Hicanduré. Apres auoir employé cinq iours de temps à tenir touſiours cette route ; nous arriuaſmes à vn havre appellé Minhatoley, eſloigné de neuf lieuës du Royaume de Peedir. De là nous fiſmes canal ſur cette meſme riuiere, qui n’a en cét endroit que vingt-trois lieuës de largeur. Nous treuuans enfin de l’autre coſté de la Mer Oceane, nous y nauigeaſmes quatre iours durant, & nous en allaſmes moüiller l’anchre en vne petite riuiere nommée Guateamgim, qui n’auoit que ſept braſſes de fonds, ſur laquelle nous fiſmes ſix ou ſept lieuës. Or durant que nous y nauigions auec vn bon vent, nous viſmes à trauers vn bocage, qui eſtoit à la riue d’icelle, vne telle quantité de couleuures, & d’autres animaux rampans non moins prodigieux pour leur longueur, que pour leurs formes eſtranges, que ie ne m’eſtonneray pas ſi ceux qui liront cette Hiſtoire, ne daigneront croire ce que i’en raconteray ; principalement les perſonnes qui n’auront point voyagé ; ſçachant bien que ceux qui ont peu veu, ne doiuent croire auſſi que fort peu, au pris de beaucoup qui croiront ceux qui ont beaucoup veu. Le long de cette riuiere, qui n’est pas autrement large, il y auoit vn grand nombre de lezars, que l’on peut plus proprement appeller ſerpens, à cauſe qu’il s’y en voyoit d’auſſi grands qu’vn petit vaiſſeau qu’on appelle Almadia, auec des eſcailles ſur l’eſchine, & la gueule large de deux pieds. Ceux du païs nous ont aſſeuré, que ces animaux ſont ſi hardis, qu’il s’en treuue quelques fois, qui ſeuls attaquent vne Almadia, prin-