Page:Les voyages au théâtre par A. D'Ennery et Jules Verne.djvu/193

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BOB.

Très incommodée !… Si incommodée, cousin, que l’infortunée est restée au fond de la tasse !

MULRAY, effrayé.

La tasse ! Quelle tasse ?

BOB.

La grande !… l’Océan !…

MULRAY.

Malheureux !… Tu as noyé ta femme !

BOB.

C’est à mon corps défendant, cousin. Voilà l’histoire : Nous étions allés faire une promenade en canot, ma femme et moi. Tu sais combien elle était jalouse de mes quelques charmes ! Je suis jeune, aimable, spirituel, et ce n’est pas ma faute si les femmes remarquent tout cela… Aujourd’hui il y en avait plusieurs qui l’avaient remarqué, et mon épouse, tout en naviguant, me querellait à ce sujet. Je cherchais à la calmer, lorsque tout à coup elle se monte, elle s’emporte, me saisit à la gorge et se met à me secouer, au point de faire chavirer le canot. Elle me pousse, je la repousse !… Elle se cramponne à moi, je me cramponne à elle, et nous roulons ensemble dans les flots… Quelques instants après, je me trouvais sur la grève, mais je m’y trouvais seul. Je regarde de tous côtés, je cherche, j’appelle… Elmina n’avait pas reparu ! Rempli d’épouvante et trempé jusqu’aux os, je me mis alors à fuir, croyant entendre une voix terrible qui me criait : Caïn, qu’as-tu fait de ta femme ?

MULRAY.

Et ce qui t’amène ici, c’est le remords ?

BOB.

Oui, le remords, l’affreux remords !… et la peur des constables !… Ah ! mon ami, c’est peut-être bien gentil, le veuvage, mais pour en jouir à son aise, il ne faut pas y avoir travaillé soi-même !

MULRAY.

Enfin, que viens-tu faire ici, malheureux ?

BOB.

J’ai pensé que tu ne voudrais pas être le cousin d’un pendu, et que tu me ferais admettre à bord du Duncan, qui appartient à lord Glenarvan, et qui doit bientôt partir.

MULRAY.

L’équipage est au complet, mon pauvre Bob !