Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/770

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Valère vient de vous quitter, Lisette. Lisette. Oui, monsieur ; il vient de nous dire une chose qui vous surprendra sur ma parole. M.Oronte. Hé quoi ? Lisette. Par ma foi, Damis est un plaisant homme, de vouloir avoir deux femmes, pendant que tant d'honnêtes gens sont si fâchés d'en avoir une ! M.Oronte. Explique-toi, Lisette. Lisette. Damis est marié, il a épousé secrètement une fille de Chartres, une fille de qualité. M.Oronte. Bon, cela se peut-il, Lisette ? Lisette. Il n'y a rien de plus véritable, Monsieur, Damis l'a mandé lui-même à Valère, qui est son ami. M.Oronte. Tu me contes une fable, te dis-je. Lisette. Non, Monsieur, je vous assure. Valère est allé quérir la lettre, il ne tiendra qu'à vous de la voir. M.Oronte. Encore un coup je ne puis croire ce que tu me dis. Lisette. Hé, Monsieur, pourquoi ne le croirez-vous pas ? Les jeunes gens ne sont-ils pas aujourd'hui capables de tout ? M.Oronte. Il est vrai qu'ils sont plus corrompus qu'ils ne l'étaient de mon temps. Lisette. Que savons-nous si Damis n'est point un de ces petits scélérats, qui ne se font point un scrupule de la pluralité des dots ? Cependant la personne qu'il a épousée étant de condition, ce mariage clandestin aura des suites qui ne seront pas fort agréables pour vous. M.Oronte. Ce que tu dis ne laisse pas de mériter qu'on y fasse quelque attention. Lisette. Comment quelque attention ? Si j'étais à votre place, avant que de livrer ma fille, je voudrais du moins être éclairci de la chose. M.Oronte. Tu as raison, je vois paraître le valet de Damis, il faut que je le sonde finement. Retire-toi, Lisette, et me laisse avec lui. Lisette, en s'en allant. Si cette nouvelle pouvait se confirmer.


Scène XIV

M. Oronte, La Branche

M.Oronte. Approche, La Branche, viens ça, je te trouve une physionomie d'honnête homme. La Branche. Oh, Monsieur, sans vanité, je suis encore plus honnête homme que ma physionomie. M.Oronte. J'en suis bien aise. Écoute, ton maître a la mine d'un vert galant. La Branche. Tudieu, c'est un joli homme. Les femmes en sont folles. Il a un certain air libre qui les charme. Monsieur Orgon, en le mariant, assure le repos de trente familles pour le moins. M.Oronte. Cela étant, je ne m'étonne point qu'il ait poussé à bout une fille de qualité. La Branche. Que dites-vous ? M.Oronte. Il faut, mon ami, que tu me confesses la vérité, je sais tout, je sais que Damis est marié ; qu'il a épousé une fille de Chartres. La Branche. Ouf ! M.Oronte. Tu te troubles, je vois qu'on m'a dit vrai, tu es un fripon. La Branche. Moi, Monsieur ? M.Oronte. Oui, toi, pendard, je suis instruit de votre dessein, et je prétends te faire punir comme complice d'un projet si criminel. La Branche. Quel projet, Monsieur ! Que je meure si je comprends... M.Oronte. Tu feins d'ignorer ce que je veux dire, traître ; mais si tu ne me fais pas tout à l'heure un aveu sincère de toutes choses, je vais te mettre entre les mains de la justice. La Branche. Faites tout ce qu'il vous plaira, Monsieur, je n'ai rien à vous avouer. J'ai beau donner la torture