fond sur moi, et que, n’étant point en argent comptant…
(Elle veut tirer son diamant de son doigt pour le lui donner.)
Eh ! madame, y songez-vous ?
Tu lui diras que je suis touchée de son malheur.
Et que je suis, de mon côté, très-fâchée de son infortune.
Ah ! qu’il sera fâché, lui… (À part.) Maugrebleu de la soubrette !
Dis-lui bien, Frontin, que je suis sensible à ses peines.
Que je sens vivement son affliction, Frontin.
C’en est donc fait, madame, vous ne verrez plus monsieur le chevalier. La honte de ne pouvoir payer ses dettes va l’écarter de vous pour jamais ; car rien n’est plus sensible pour un enfant de famille. Nous allons tout à l’heure prendre la poste.
Prendre la poste. Marine !
Ils n’ont pas de quoi la payer.
Adieu, madame.
Attends, Frontin.
Non, non, va-t-en vite lui faire réponse.
Oh ! je ne puis me résoudre à l’abandonner…
(À Frontin, en lui donnant son diamant.)
Tiens, voilà un diamant de cinq cents pistoles que M. Turcaret m’a donné ; va le mettre en gage, et tire ton maître de l’affreuse situation où il se trouve.
Je vais le rappeler à la vie (À Marine avec ironie.) Je lui rendrai compte. Marine, de l’excès de ton affliction.
Ah ! que vous êtes tous deux bien ensemble, messieurs les fripons ! (Frontin sort.)
Scène III.
Tu vas te déchaîner contre moi. Marine, l’emporter ?
Non, madame, je ne m’en donnerai pas la peine, je vous assure. Eh ! que m’importe, après tout, que votre bien s’en aille comme il vient ? Ce sont vos affaires, madame, ce sont vos affaires.
Hélas ! je suis plus à plaindre qu’à blâmer ; ce que tu me vois faire n’est point l’effet d’une volonté libre : je suis entraînée par un penchant si tendre, que je ne puis y résister.
Un penchant tendre ? Ces foiblesses vous conviennent-elles ? Eh ! fi ! vous aimez comme une vieille bourgeoise.
Que tu es injuste, Marine ! puis-je ne pas savoir gré au chevalier du sacrifice qu’il me fait ?
Le plaisant sacrifice !… Que vous êtes facile à tromper ! Mort de ma vie ! c’est quelque vieux portrait de famille ; que sait-on ? de sa grand’mère, peut-être.
Non, j’ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente.
Attendez… Ah ! justement, c’est ce colosse de provinciale que nous vîmes au bal il y a trois jours, qui se fit tant prier pour ôter son masque, et que personne ne connut quand elle fut démasquée.
Tu as raison, Marine… Cette comtesse-là n’est pas mal faite.
À peu près comme M. Turcaret. Mais, si la comtesse étoit femme d’affaires, on ne vous sacrifieroit pas, sur ma parole.
Tais-toi. Marine ; j’aperçois le laquais de M. Turcaret.
Oh ! pour celui-ci, passe : il ne nous apporte que de bonnes nouvelles… (Regardant venir Flamand, et le voyant chargé d’un petit coffre.) Il tient quelque chose ; c’est sans doute un nouveau présent que son maître vous fait.