Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/784

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fond sur moi, et que, n’étant point en argent comptant…

(Elle veut tirer son diamant de son doigt pour le lui donner.)

MARINE, la retenant.

Eh ! madame, y songez-vous ?

LA BARONNE, à Frontin, en remettant son diamant.

Tu lui diras que je suis touchée de son malheur.

MARINE, à Frontin, ironiquement.

Et que je suis, de mon côté, très-fâchée de son infortune.

FRONTIN, à la baronne.

Ah ! qu’il sera fâché, lui… (À part.) Maugrebleu de la soubrette !

LA BARONNE.

Dis-lui bien, Frontin, que je suis sensible à ses peines.

MARINE, à Frontin, ironiquement.

Que je sens vivement son affliction, Frontin.

FRONTIN, à la baronne.

C’en est donc fait, madame, vous ne verrez plus monsieur le chevalier. La honte de ne pouvoir payer ses dettes va l’écarter de vous pour jamais ; car rien n’est plus sensible pour un enfant de famille. Nous allons tout à l’heure prendre la poste.

LA BARONNE, bas à Marine.

Prendre la poste. Marine !

MARINE.

Ils n’ont pas de quoi la payer.

FRONTIN, à la baronne.

Adieu, madame.

LA BARONNE, tirant son diamant de son doigt.

Attends, Frontin.

MARINE, à Frontin.

Non, non, va-t-en vite lui faire réponse.

LA BARONNE, à Marine.

Oh ! je ne puis me résoudre à l’abandonner…

(À Frontin, en lui donnant son diamant.)

Tiens, voilà un diamant de cinq cents pistoles que M. Turcaret m’a donné ; va le mettre en gage, et tire ton maître de l’affreuse situation où il se trouve.

FRONTIN.

Je vais le rappeler à la vie (À Marine avec ironie.) Je lui rendrai compte. Marine, de l’excès de ton affliction.

MARINE.

Ah ! que vous êtes tous deux bien ensemble, messieurs les fripons ! (Frontin sort.)




Scène III.


LA BARONNE, MARINE.


LA BARONNE.

Tu vas te déchaîner contre moi. Marine, l’emporter ?

MARINE.

Non, madame, je ne m’en donnerai pas la peine, je vous assure. Eh ! que m’importe, après tout, que votre bien s’en aille comme il vient ? Ce sont vos affaires, madame, ce sont vos affaires.

LA BARONNE.

Hélas ! je suis plus à plaindre qu’à blâmer ; ce que tu me vois faire n’est point l’effet d’une volonté libre : je suis entraînée par un penchant si tendre, que je ne puis y résister.

MARINE.

Un penchant tendre ? Ces foiblesses vous conviennent-elles ? Eh ! fi ! vous aimez comme une vieille bourgeoise.

LA BARONNE.

Que tu es injuste, Marine ! puis-je ne pas savoir gré au chevalier du sacrifice qu’il me fait ?

MARINE.

Le plaisant sacrifice !… Que vous êtes facile à tromper ! Mort de ma vie ! c’est quelque vieux portrait de famille ; que sait-on ? de sa grand’mère, peut-être.

LA BARONNE, regardant le portrait.

Non, j’ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente.

MARINE prenant le portrait et l’examinant à son tour.

Attendez… Ah ! justement, c’est ce colosse de provinciale que nous vîmes au bal il y a trois jours, qui se fit tant prier pour ôter son masque, et que personne ne connut quand elle fut démasquée.

LA BARONNE.

Tu as raison, Marine… Cette comtesse-là n’est pas mal faite.

MARINE, rendant le portrait à la baronne.

À peu près comme M. Turcaret. Mais, si la comtesse étoit femme d’affaires, on ne vous sacrifieroit pas, sur ma parole.

LA BARONNE, voyant paroitre Flamand.

Tais-toi. Marine ; j’aperçois le laquais de M. Turcaret.

MARINE.

Oh ! pour celui-ci, passe : il ne nous apporte que de bonnes nouvelles… (Regardant venir Flamand, et le voyant chargé d’un petit coffre.) Il tient quelque chose ; c’est sans doute un nouveau présent que son maître vous fait.