Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/786

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LA BARONNE.

On le voit bien. Les auteurs de profession ne pensent et ne s’expriment pas ainsi : on ne sauroit les soupçonner de les avoir faits.

M. TURCARET.

J’ai voulu voir, par curiosité, si je serois capable d’en composer, et l’amour m’a ouvert l’esprit.

LA BARONNE.

Vous êtes capable de tout, monsieur ; il n’y a rien d’impossible pour vous.

MARINE, à M. Turcaret

Votre prose, monsieur, mérite aussi des compliments : elle vaut bien votre poésie, au moms.

M. TURCARET.

Il est vrai que ma prose a son mérite ; elle est signée et approuvée par quatre fermiers généraux.

MARINE.

Cette approbation vaut mieux que celle de l’Académie.

LA BARONNE, à M. Turcaret.

Pour moi, je n’approuve point votre prose, monsieur ; et il me prend envie de vous quereller.

M. TURCARET.

D’où vient ?

LA BARONNE.

Avez-vous perdu la raison de m’envoyer un billet au porteur ? Vous faites tous les jours quelque folie comme cela.

M. TURCARET.

Vous vous moquez ?

LA BARONNE.

De combien est-il ce billet ? Je n’ai pas pris garde à la somme, tant j’étois en colère contre vous !

M. TURCARET.

Bon ! il n’est que de dix mille écus.

LA BARONNE.

Comment ! de dix mille écus ? Ah ! si j’avois su cela, je vous l’aurois renvoyé sur-le-champ.

M. TURCARET.

Fi donc !

LA BARONNE.

Mais je vous le renverrai.

M. TURCARET.

Oh ! vous l’avez reçu, vous ne le rendrez point.

MARINE, à part.

Oh ! pour cela, non.

LA BARONNE, à M. Turcaret.

Je suis plus offensée du motif que de la chose même.

M. TURCARET.

Eh ! pourquoi ?

LA BARONNE.

En m’accablant tous les jours de présents, il semble que vous vous imaginiez avoir besoin de ces liens-là pour m’attacher à vous,

M. TURCARET.

Quelle pensée ! Non, madame, ce n’est point dans cette vue que….

LA BARONNE, interrompant.

Mais vous vous trompez, monsieur ; je ne vous en aime point davantage pour cela.

M. TURCARET, à part.

Qu’elle est franche ! qu’elle est sincère !

LA BARONNE.

Je ne suis sensible qu’à vos empressements, qu’à vos soins.

M. TURCARET, à part.

Quel bon cœur

LA BARONNE.

Qu’au seul plaisir de vous voir.


M. TURCARET, à part.

Elle me charme… (À la baronne.) Adieu, charmante Philis.

LA BARONNE.

Quoi ! vous sortez sitôt ?

M. TURCARET.

Oui, ma reine. Je ne viens ici que pour vous saluer en passant. Je vais à une de nos assemblées, pour m’opposer à la réception d’un pied-plat, d’un homme de rien, qu’on veut faire entrer dans notre compagnie. Je reviendrai dès que je pourrai m’échapper. (il lui baise la main)

LA BARONNE.

Fussiez-vous déjà de retour !


MARINE., à M. Turcaret, en lui faisant la révérence.

Adieu, monsieur. Je suis votre très-humble servante.

M. TURCARET.

À propos, Marine, il me semble qu’il y a longtemps que je ne t’ai rien donné… (il lui donne une poignée d’argent.) Tiens, je donne sans compter, moi.


MARINE., prenant l' argent.

Et moi, je reçois de même, monsieur. Oh ! nous sommes tous deux des gens de bonne foi. (M. Turcaret sort.)


Scène VII.

LA BARONNE, MARINE.
LA BARONNE.

Il s’en va fort satisfait de nous, Marine.

MARINE.

Et nous demeurons fort contentes de lui, ma-