Aller au contenu

Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

monsieur, dis-je alors au licencié, la reconnaissance doit avoir plus de force sur nous que les lois de la nature. Sans doute, reprit-il, et mon testament fera bien voir que je ne me soucie guère de mes parents. Ma gouvernante y aura bonne part, et tu n’y seras point oublié, si tu continues comme tu commences à me servir. Le valet que j’ai mis dehors hier a perdu par sa faute un bon legs. Si ce misérable ne m’eût pas obligé, par ses manières, à lui donner son congé, je l’aurais enrichi ; mais c’était un orgueilleux qui manquait de respect à la dame Jacinte, un paresseux qui craignait la peine. Il n’aimait point à me veiller, et c’était pour lui une chose bien fatigante que de passer les nuits à me soulager. Ah ! le malheureux ! m’écriai-je comme si le génie de Fabrice m’eût inspiré, il ne méritait pas d’être auprès d’un si honnête homme que vous. Un garçon qui a le bonheur de vous appartenir doit avoir un zèle infatigable ; il doit se faire un plaisir de son devoir, et ne se pas croire occupé, lors même qu’il sue sang et eau pour vous.

Je m’aperçus que ces paroles plurent fort au licencié. Il ne fut pas moins content de l’assurance que je lui donnai d’être toujours parfaitement soumis aux volontés de la dame Jacinte. Voulant donc passer pour un valet que la fatigue ne pouvait rebuter, je faisais mon service de la meilleure grâce qu’il m’était possible. Je ne me plaignais point d’être toutes les nuits sur pied. Je ne laissais pas pourtant de trouver cela très désagréable ; et, sans le legs dont je repaissais mon espérance, je me serais bientôt dégoûté de ma condition ; je n’y aurais pu résister ; il est vrai que je me reposais quelques heures pendant le jour. La gouvernante, je lui dois cette justice, avait beaucoup d’égards pour moi ; ce qu’il fallait attribuer au soin que je prenais de gagner ses bonnes grâces par des manières complaisantes et respectueuses. Étais-je à table avec elle et sa nièce, qu’on appelait Inésille, je leur changeais d’as-