Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/140

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plis de deuil le tripot. La paumière alla où j’envoyais tous mes malades, et ses parents s’emparèrent de son bien. Don Rodrigue, au désespoir d’avoir perdu sa maîtresse, ou plutôt l’espérance d’un mariage très avantageux pour lui, ne se contenta pas de jeter feu et flammes contre moi ; il jura qu’il me passerait son épée au travers du corps, et m’exterminerait à la première vue. Un voisin charitable m’avertit de ce serment ; la connaissance que j’avais de Mondragon, bien loin de me faire mépriser cet avis, me remplit de trouble et de frayeur. Je n’osais sortir du logis, de peur de rencontrer ce diable d’homme, et je m’imaginais sans cesse le voir entrer dans notre maison d’un air furieux ; je ne pouvais goûter un moment de repos. Cela me détacha de la médecine, et je ne songeai plus qu’à m’affranchir de mon inquiétude. Je repris mon habit brodé ; et, après avoir dit adieu à mon maître qui ne put me retenir, je sortis de la ville à la pointe du jour, non sans craindre de trouver don Rodrigue en mon chemin.


CHAPITRE VI

Quelle route il prit en sortant de Valladolid, et quel homme le joignit en chemin.


Je marchais fort vite, et regardais de temps en temps derrière moi, pour voir si ce redoutable Biscayen ne suivait point mes pas : j’avais l’imagination si remplie de cet homme-là, que je prenais pour lui tous les arbres et les buissons ; je sentais à tout moment mon cœur tressaillir d’effroi. Je me rassurai pourtant après avoir fait une bonne lieue, et je continuai plus doucement mon chemin vers Madrid, où je me proposais d’aller. Je quittais sans peine le séjour de Valladolid ; tout mon regret était de me séparer de Fabrice, mon cher Pylade,