Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/157

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de retourner sur mes pas, quelle scène pour mes camarades ! c’était me livrer à toutes les mauvaises plaisanteries du monde ; d’aller aussi chez Mergelina dans le bel état où j’étais, cela me faisait de la peine. Je pris pourtant le parti de gagner la maison du médecin. Je rencontrai à la porte le vieil écuyer qui m’attendait. Il me dit que le docteur Oloroso venait de se coucher, et que nous pouvions librement nous divertir. Je répondis qu’il fallait auparavant nettoyer mes habits : en même temps je lui contai ma disgrâce. Il y parut sensible, et me fit entrer dans une salle où était sa maîtresse. D’abord que cette dame sut mon aventure, et me vit tel que j’étais, elle me plaignit autant que si les plus grands malheurs me fussent arrivés ; puis, apostrophant la personne qui m’avait accommodé de cette manière, elle lui donna mille malédictions. Eh ! madame, lui dit Marcos, modérez vos transports ; considérez que cet événement est un pur effet du hasard ; il n’en faut point avoir un ressentiment si vif. Pourquoi, s’écria-t-elle avec emportement, pourquoi ne voulez-vous pas que je ressente vivement l’offense qu’on a faite à ce petit agneau, à cette colombe sans fiel, qui ne se plaint seulement pas de l’outrage qu’il a reçu ? Ah ! que ne suis-je homme en ce moment pour le venger !

Elle dit une infinité d’autres choses encore qui marquaient bien l’excès de son amour, qu’elle ne fit pas moins éclater par ses actions ; car, tandis que Marcos s’occupait à m’essuyer avec une serviette, elle courut dans sa chambre, et en apporta une boîte remplie de toutes sortes de parfums. Elle brûla des drogues odoriférantes, et en parfuma mes habits ; après quoi elle répandit dessus des essences abondamment. La fumigation et l’aspersion finies, cette charitable femme alla chercher elle-même, dans la cuisine, du pain, du vin, et quelques morceaux de mouton rôti, qu’elle avait mis à part pour moi. Elle m’obligea de manger ; et, prenant plaisir à me servir, tantôt elle me coupait ma viande,