Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sage, et après l’avoir réfutée à sa manière, M. Villemain ajoute :


« Ce n’est pas que dans cette affaire nous prétendions tout à fait nier la dette envers l’Espagne ; mais elle est autre qu’on ne dit. Notre Gil Blas n’est pas volé, quoi qu’en aient dit le Père Isla, et tout récemment le docte Llorente. Il n’y a pas eu de manuscrit mystérieux trouvé par Le Sage et caché pour tout le monde ; mais nul doute que Le Sage n’ait habilement recueilli cette plaisanterie sensée, cette philosophie grave avec douceur, maligne avec enjouement, qui brille dans Cervantes et dans Cuevedo, et dont quelques traits heureux se rencontrent toujours dans les moralistes et les conteurs espagnols. À cette imitation générale et libre, Le Sage mêle le goût de la meilleure antiquité ; il est, pour le style, l’élève de Térence et d’Horace. »


Le Sage a pris bien autre chose que le sel et l’esprit des auteurs espagnols ; il ne s’est jamais fait faute de leur emprunter des idées, des histoires, des lambeaux, tout ce qui était à sa convenance, comme M. Ticknor l’a péremptoirement démontré[1]. Il n’est pas d’auteur qui ait eu moins de scrupule à cet égard et qui en ait agi avec moins de cérémonie que Le Sage. Il justifie tout à fait la spirituelle définition que donnait un jour M. de Maurepas : « Un auteur est un homme qui prend dans les livres tout ce qui lui passe par la tête ». Cela n’ôte rien à ses mérites ; mais il faut être vrai avant tout et sortir une bonne fois, à son sujet, du lieu commun national et patriotique. Ne soyons pas pour lui

  1. Voir notamment au tome III, page 70, de son Histoire de la Littérature espagnole.