Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/201

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un sac de toile bleue, qui me parut être le même que le paysan Talego venait de laisser avec cinq cents pistoles à Rodriguez. Je sus bientôt ce qu’il en fallait penser, et je vis bien que Melendez ne m’avait pas vanté sans raison le savoir-faire de cet intendant. Le vieillard vida le sac, étala les pièces sur une table, et se mit à les compter. Cette vue alluma la cupidité de mon maître ; il fut frappé de la totalité de la somme. Seigneur Descomulgado, dit-il à l’usurier, je fais une réflexion judicieuse. Je suis un grand sot. Je n’emprunte que ce qu’il faut pour dégager ma parole, sans songer que je n’ai pas le sou ; je serai obligé demain de recourir encore à vous. Je suis d’avis de rafler les quatre cents pistoles, pour vous épargner la peine de revenir. Seigneur, répondit le vieillard, je destinais une partie de cet argent à un bon licencié qui a de gros héritages qu’il emploie charitablement à retirer du monde de petites filles et à meubler leurs retraites ; mais, puisque vous avez besoin de la somme entière, elle est à votre service, vous n’avez qu’à songer aux assurances… Oh ! pour des assurances, interrompit Rodriguez en tirant de sa poche un papier, vous en aurez de bonnes. Voilà un billet que le seigneur don Mathias n’a qu’à signer. Il vous donne cinq cents pistoles à prendre sur un de ses fermiers, sur Talego, riche laboureur de Mondejar. Cela est bon, répliqua l’usurier : je ne fais point le difficultueux, moi ; pour peu que les propositions qu’on me fait soient raisonnables, je les accepte sans façon dans le moment. Alors l’intendant présenta une plume à mon maître, qui, sans lire le billet, écrivit, en sifflant, son nom au bas.

Cette affaire consommée, le vieillard dit adieu à mon patron, qui courut l’embrasser en lui disant : Jusqu’au revoir, seigneur usurier ; je suis tout à vous. Je ne sais pas pourquoi vous passez, vous autres, pour des fripons ; je vous trouve très nécessaires à l’État : vous êtes la consolation de mille enfants de famille, et la