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LIVRE QUATRIÈME


CHAPITRE PREMIER

Gil Blas ne pouvant s’accoutumer aux mœurs des comédiennes, quitte le service d’Arsénie, et trouve une plus honnête maison.


Un reste d’honneur et de religion, que je ne laissais pas de conserver parmi des mœurs si corrompues, me fit résoudre non seulement à quitter Arsénie, mais à rompre même tout commerce avec Laure, que je ne pouvais pourtant cesser d’aimer, quoique je susse bien qu’elle me faisait mille infidélités. Heureux qui peut ainsi profiter des moments de raison qui viennent troubler les plaisirs dont il est trop occupé ! Un beau matin, je fis mon paquet ; et, sans compter avec Arsénie, qui ne me devait à la vérité presque rien, sans prendre congé de ma chère Laure, je sortis de cette maison où l’on ne respirait qu’un air de débauche. Je n’eus pas plus tôt fait cette bonne action, que le ciel m’en récompensa. Je rencontrai l’intendant de feu don Mathias, mon maître ; je le saluai : il me reconnut, et s’arrêta pour me demander qui je servais. Je lui répondis que depuis un instant j’étais hors de condition ; qu’après avoir demeuré près d’un mois chez Arsénie, dont les mœurs ne me convenaient point, je venais d’en sortir de mon propre mouvement pour sauver mon innocence. L’intendant, comme s’il eût été scrupuleux de son naturel, approuva ma délicatesse, et me dit qu’il vou-