Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/260

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apprendre que de sa propre bouche. Suivez-moi ; je vais vous conduire. À ces mots, la duègne me prit la main, et, par une petite porte dont elle avait la clef, elle me mena mystérieusement dans la chambre de sa maîtresse.


CHAPITRE II

Comment Aurore reçut Gil Blas et quel entretien ils eurent ensemble.


Je trouvai Aurore en déshabillé ; cela me fit plaisir. Je la saluai fort respectueusement, et de la meilleure grâce qu’il me fut possible. Elle me reçut d’un air riant, me fit asseoir auprès d’elle malgré moi ; et ce qui acheva de me ravir, elle dit à son ambassadrice de passer dans une autre chambre et de nous laisser seuls. Après cela, m’adressant la parole : Gil Blas, me dit-elle, vous avez dû vous apercevoir que je vous regarde favorablement, et vous distingue de tous les autres domestiques de mon père ; et, quand mes regards ne vous auraient point fait juger que j’ai quelque bonne volonté pour vous, la démarche que je fais cette nuit ne vous permettrait pas d’en douter.

Je ne lui donnai pas le temps de m’en dire davantage. Je crus qu’en homme poli je devais épargner à sa pudeur la peine de s’expliquer plus formellement. Je me levai avec transport ; et, me jetant aux pieds d’Aurore, comme un héros de théâtre qui se met à genoux devant sa princesse, je m’écriai d’un ton de déclamateur : Ah ! madame, l’ai-je bien entendu ! est-ce à moi que ce discours s’adresse ? serait-il possible que Gil Blas, jusqu’ici le jouet de la fortune et le rebut de la nature entière, eût le bonheur de vous avoir inspiré des sentiments… Ne parlez pas si haut, interrompit en riant ma maîtresse ; vous allez réveiller mes femmes qui