Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/261

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dorment dans la chambre prochaine. Levez-vous, reprenez votre place, et m’écoutez jusqu’au bout sans me couper la parole. Oui, Gil Blas, poursuivit-elle en reprenant son sérieux, je vous veux du bien : et pour vous prouver que je vous estime, je vais vous faire confidence d’un secret d’où dépend le repos de ma vie. J’aime un jeune cavalier, beau, bien fait et d’une naissance illustre. Il se nomme don Luis Pacheco. Je le vois quelquefois à la promenade et aux spectacles ; mais je ne lui ai jamais parlé. J’ignore même de quel caractère il est, et s’il n’a point de mauvaises qualités. C’est de quoi pourtant je voudrais bien être instruite. J’aurais besoin d’un homme qui s’enquît soigneusement de ses mœurs et m’en rendît un compte fidèle. Je fais choix de vous préférablement à tous nos autres domestiques. Je crois que je ne risque rien à vous charger de cette commission. J’espère que vous vous en acquitterez avec tant d’adresse et de discrétion, que je ne me repentirai point de vous avoir mis dans ma confidence.

Ma maîtresse cessa de parler en cet endroit pour entendre ce que je lui répondrais là-dessus. J’avais d’abord été déconcerté d’avoir pris si désagréablement le change ; mais je me remis promptement l’esprit ; et, surmontant la honte que cause toujours la témérité quand elle est malheureuse, je témoignai à la dame tant de zèle pour ses intérêts, je me dévouai avec tant d’ardeur à son service, que, si je ne lui ôtai pas la pensée que je m’étais follement flatté de lui avoir plu, du moins je lui fis connaître que je savais bien réparer une sottise. Je ne demandai que deux jours pour lui rendre bon compte de don Luis. Après quoi la dame Ortiz, que sa maîtresse rappela, me ramena dans le jardin, et me dit d’un air railleur en me quittant : Bonsoir, Gil Blas ; je ne vous recommande point de vous trouver de bonne heure au premier rendez-vous, je connais trop votre ponctualité là-dessus pour en être en peine.