Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/270

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deux compagnes et moi, nous arrêta tous quatre dans la salle après le repas. Ma maîtresse voulut nous renvoyer ; mais Elvire, qui s’aperçut bien que nous mourions d’envie d’entendre l’explication du tableau, eut la bonté de nous retenir, en disant que l’histoire qu’elle allait raconter n’était pas de celles qui demandent du secret. Un moment après, elle commença son récit dans ces termes.


CHAPITRE IV

LE MARIAGE DE VENGEANCE


Roger, roi de Sicile, avait un frère et une sœur. Ce frère, appelé Mainfroi, se révolta contre lui, et alluma dans le royaume une guerre qui fut dangereuse et sanglante : mais il eut le malheur de perdre deux batailles et de tomber entre les mains du roi, qui se contenta de lui ôter la liberté, pour le punir de sa révolte. Cette clémence ne servit qu’à faire passer Roger pour un barbare dans l’esprit d’une partie de ses sujets. Ils disaient qu’il n’avait sauvé la vie à son frère, que pour exercer sur lui une vengeance lente et inhumaine. Tous les autres, avec plus de fondement, n’imputaient les traitements durs que Mainfroi souffrait dans sa prison, qu’à sa sœur Mathilde. Cette princesse avait en effet toujours haï ce prince, et ne cessa point de le persécuter tant qu’il vécut. Elle mourut peu de temps après lui, et l’on regarda sa mort comme une juste punition de ses sentiments dénaturés.

Mainfroi laissa deux fils ; ils étaient encore dans l’enfance. Roger eut quelque envie de s’en défaire, de crainte que, parvenus à un âge plus avancé, le désir de venger leur père ne les portât à relever un parti qui n’était pas si bien abattu, qu’il ne pût causer de nouveaux troubles dans l’État. Il communiqua son dessein